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En vadrouille sur le sous-continent indien

1 juin 2008

Sab fait le tour des Annapurnas

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Dimanche 1er avril 2007 - Jour 1 : Pokhara (820 m) - Besi Sahar (760 m) - Bhulbule (840 m)

A 7 h du matin, chaussures de marche aux pieds, je m'assieds dans un bus rempli de trekkers occidentaux, accompagnés d'un guide ou non. Direction Besi Sahar, le point de départ du trek. Après ça, je ne pourrai plus compter que sur mes gambettes pour avancer.

Le bus nous dépose à Besi Sahar avec deux heures d'avance. Etonnant car il n'a pas spécialement foncé à toute allure. Il est seulement 11 h et Aman m'emmène déjeuner. "Déjà ? Heu... il est un peu tôt, non ?" J'ai beau me sentir en confiance avec lui, j'appréhende un peu de passer ces trois semaines avec quelqu'un que je ne connais que depuis la veille.

La route goudronnée sur laquelle je fais mes premiers pas laissera heureusement place à un chemin. Dans cette région reculée, les sentiers de randonnée sont les mêmes que ceux qu'empruntent la population locale au quotidien. C'est l'une des raisons pour lesquelles le Tour des Annapurnas est si populaire : le randonneur traverse des villages traditionnels à la rencontre des nombreuses ethnies qui composent le pays. Progrès oblige, la splendeur du paysage est par endroits entamée par la construction d'une route, ce qui mettra inexorablement fin aux treks d'ici quelques années. Cependant, ces peuples qui vivent dans des conditions difficiles, à l'écart de tout, peuvent-ils aller à l'encontre de la modernisation ?

Première étape obligatoire : le checkpost pour vérifier mon permis. Le parc des Annapurnas fait partie de l'Annapurna Conservation Area Project et mon permis sera contrôlé à plusieurs reprises. Lors de la guérilla maoïste qui ébranla le pays entre 1996 et 2006, il n'était pas rare que les touristes se fassent racketter par les rebelles sur les chemins de randonnée, le plus souvent sans violence s'ils se montraient dociles. Mais depuis le début du processus de paix (cessez-le-feu en avril 2006 et destitution du roi Gyanendra le mois suivant), cette pratique a disparu et il n'est plus nécessaire pour les trekkers de prévoir de rallonge pour les maoïstes.

Aujourd'hui, ce n'est qu'une mise en jambe : le terrain est facile et la balade est de courte durée. Aman révise ses fiches "faune et flore" en anglais et je ne manque pas de le bombarder de questions. "C'est quoi, ces fleurs ?", "Et l'oiseau, là-bas ?", "Comment on dit 'rhododendron' en népali ?"

Après trois heures de balade agréable à travers les rizières, nous faisons halte à Bhulbhule, où je redécouvre le mode d'hébergement du trek : le lodge. Grosso modo, une chambre spartiate mais propre, une salle à manger et des sanitaires à partager avec les autres trekkers.

Après avoir pris ma douche, fait une sieste et ma lessive, je m'installe au soleil et me replonge dans mon bouquin. A 17 h, Aman m'apporte le menu et passe la commande; le dîner sera servi à 18 h.

Mes journées suivront sensiblement toutes le même rythme : lever vers 6 h, départ vers 7 h, tea time quand on en a envie, dal-bhat vers 11 h (plat national à base de riz, de pommes de terre, d'épinards, le tout arrosé de dal, hyper protéiné et servi à volonté. Miam.), arrivée au lodge entre 13 et 16 h. Retrait des chaussures et des chaussettes malodorantes, douche et lessive (sauf quand il n'y a pas d'eau ou qu'il fait trop froid), balade/lecture/musique/thé/sieste/bavardage, commande du dîner vers 17 h, dîner vers 18 h, extinction des feux entre 19 et 21 h, selon mon état de fatigue. En moyenne, environ 6 heures de marche par jour. Parfois moins, parfois plus.

Pendant le dîner, je fais connaissance avec mes compagnons de lodge : Eva, une Slovaque que je croiserai presque chaque jour accompagnée d'un guide maoïste, et un couple d'Allemands. Il se met à pleuvoir à verse et on ne s'entend même plus parler, si bien que chacun regagne sa chambre très tôt.

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Jour 2 : Bhulbhule (840 m) - Ghermu (1 200 m)

Aman m'a prévenue : c'est aujourd'hui que le trek commence sérieusement. Ce matin, coup de chance : le Manaslu (8 156 m) pointe le bout de son nez (agrandir la photo à gauche, plus bas). La première difficulté se présente : un sentier abrupt, parfait pour galber ses mollets. Un groupe de trois Taïwanais trekke à nos côtés. Aman les trouve irresponsables : ils ont l'intention de faire le Tour des Annapurnas ET aller au camp de base en 14 jours (sachant que le Tour des Annapurnas seul se fait entre 16 et 21 jours). Si certains trekkeurs réalisent une course contre la montre, d'autres préfèrent savourer chaque instant. Prendre le temps de sentir chaque pas, d'écouter le ruissellement de l'eau, d'échanger un "namaste" encourageant avec un porteur.

Il est 11 h, c'est l'heure du dal-bhat. Le couple d'Allemands de la veille arrive peu après, complètement essoufflé. Contrairement à moi, ils ont peu de temps devant eux et devront marcher davantage chaque jour pour faire le tour complet et ne pas rater leur avion, qui les ramènera chez eux trois semaines plus tard.

Aman et moi continous la route, toujours au milieu des cultures en terrasse, et atteignons Ghermu à 15 h. Aujourd'hui, ma compagne de lodge est une Anglaise basée à Manang qui donne un peu de son temps à l'Himalayan Rescue Association, dont la mission est d'informer les randonneurs mais aussi la population locale sur les dangers de la montagne, notamment le mal aigu des montagnes (MAM), qui touche un grand nombre de trekkers chaque année.

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Jour 3 : Ghermu (1 200 m) - Tal (1 700 m)

Cette troisième journée de marche n'est pas de tout repos. Uphill, downhill... Uphill, downhill... Bref, ça monte et ça descend et je suis heureuse dès que le terrain est plat, ce qui ne dure jamais assez longtemps à mon goût. Je ne me trouve pas très en forme, ce  qui m'inquiète pour le passage de Thorong La, col à 5 416 m réputé difficile, prévu pour la douzième journée.

Au programme : des cascades vertigineuses, de nombreux ponts pas très suspendus, des escaliers en pierre particulièrement pénibles en descente. Les cultures de riz laissent place à celles de maïs. Nous croisons souvent des caravanes de mules, qui sont... chargées comme des mules. Chaque fois, il faut s'arrêter pour les laisser passer et se ranger côté montagne, car un coup de sabot est vite arrivé.

Après déjeuner, j'ai du mal à reprendre la route. Cette journée de marche me semble interminable et j'arrive à Tal vers 15 - 16 h sur les rotules et officiellement convaincue que Rexona n'est pas le plus performant des déo. J'aurais préféré effectuer des journées de marche un peu plus longues les deux premiers jours afin d'équilibrer les étapes.

Ce soir-là, Aman et moi avons le lodge pour nous. Depuis le début, je croise des trekkers mais nous ne faisons peut-être pas étape dans les mêmes villages. Après dîner, je bouquine à la lumière de ma torche abritée sous ma moustiquaire, balayant régulièrement du regard le sol et les murs : une bêbête à huit pattes a jugé bon de s'inviter dans ma chambre pour la nuit. J'ai à peine de le temps de prier pour qu'elle n'élise pas domicile dans Regatta que je tombe dans les bras de Morphée.

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Jour 4 : Tal (1 700 m) - Danagyu (2 300 m)

Aman m'annonce une journée aussi pénible que la veille. A mon grand soulagement, il n'en est rien. Est-ce que je suis plus en forme aujourd'hui ou est-ce que je prends le rythme ? Toujours est-il que le terrain me semble plus reposant que la veille et la journée de marche est plus courte.

Avec l'altitude, la végétation change. Quelques conifères habillent maintenant les pentes et les rhododendrons en pleine floraison viennent égayer les sentiers.

Pause dal-bhat à Bagarchap, bourgade partiellement détruite par un glissement de terrain, où Aman m'emmène visiter un gompa, monastère bouddhiste. Nous sommes depuis la veille dans le district de Manang, où l'influence tibétaine est très marquée, comme en attesteront les divers villages que nous traverserons, riches en chörten, mani walls et autres drapeaux à prières.

Comme je l'ai déjà mentionné, nous sillonnons les mêmes routes que les habitants de la région, et avons maintes occasions de les observer dans leurs activités quotidiennes. Très régulièrement, nous croisons des porteurs, en tongs ou pieds nus, qui portent sur leur dos des charges aussi lourdes qu'incongrues : des cages remplies de poules, des poteaux ou des tôles si larges qu'il leur faut traverser les ponts en travers. Si la vue de ces porteurs choque d'abord l'Occidental qui réalise à quel point le Népal est peu développé, ce métier difficile est ici très honorable. Je rappelle que les routes sont rares dans tout le pays et que les mules et les porteurs sont jusqu'à présent le seul moyen d'acheminer les biens dans la montagne - dont ceux que nous, trekkers, consommons.

Nous arrivons à Danagyu en tout début d'après-midi, ce qui me permet d'avancer mon bouquin. Encore une fois, je prends une douche froide. Un Espagnol rencontré à Pokhara fraîchement rentré du trek m'avait pourtant assuré qu'il y avait de l'eau chaude partout et des prises pour recharger les piles de mon appareil photo, mais que nenni. Chaque soir, Aman essaie de les charger dans sa chambre (jamais de prise dans la mienne), mais soit le voltage n'est pas assez puissant, soit il y a une coupure de courant. Et il faut savoir que les coupures durent 6-8 heures par jour, conformément à la réglementation. A Katmandou, par exemple, un roulement s'effectue par quartier. Dans ma Guesthouse, un planning "coupures de courant" était même affiché...

Ce soir-là, nous sommes nombreux au lodge : un groupe de Tchèques et un Allemand avec qui je discute un moment, Alexander. Un festival se tient non loin de là, mais je suis trop fatiguée pour ressortir. L'altitude nous a fait perdre plusieurs degrés et je n'ai qu'une envie : aller me blottir au chaud, au fond de mon duvet.

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Jour 5 : Danagyu (2 300 m) - Chame (2 670 m)

Au cours de cette cinquième journée pas très ardue (beaucoup de plat et de pentes douces), nous traversons des paysages de plus en plus beaux. Alexander, l'Allemand rencontré la veille, fait un bout de chemin avec nous. 

Arrivée à Chame en début d'après-midi, où une douche tiède m'attend. Chame est la capitale administrative du district de Manang et je constate que ce gros bourg est en effet assez développé : sur la route principale, en plus des lodges, s'alignent des boutiques bien achalandées destinées à ravitailler les marcheurs.

Après un tour au village et une discussion avec un militaire très sympa, je finis la journée au lodge en compagnie d'un couple d'Allemands qui voyagent aussi au long cours. Nous essayons tant bien que mal de nous réchauffer autour du feu, sans grand succès.

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Jour 6 : Chame (2 670 m) - Lower Pisang ( 3 240 m)
 

6 h, mon réveil sonne. Le soleil finit de se lever et m'offre un spectacle magique. Que demander de plus pour démarrer la journée en beauté ?

Je m'attèle à ma routine matinale :  douche, petit dej, purification de l'eau de ma gourde. Deux comprimés de Micropur et trente minutes plus tard, boire l'eau du robinet ne présente plus aucun risque (ou presque). Le goût d'iode n'est pas très agréable, mais ça évite les bouteilles plastiques, véritable fléau.

La végétation subtropicale des tout premiers jours a laissé place à des forêts de conifères et l'empreinte tibétaine est de plus en plus forte. Les drapeaux à prières flottent au vent; les chorten et les murs à mani gardent l'entrée des villages [Ndlr : les chorten sont de "mini" stupas tibétains en pierre et les murs à mani sont des murs de pierres sur lesquelles sont gravés des mantras, souvent accompagnés de moulins à prière qu'il faut faire tourner les uns après les autres.].

La marche est parfois rude à cause de l'oxygène qui se raréfie, mais la splendeur des paysages est une motivation suffisante pour ne pas relâcher l'effort. Aujourd'hui, les sentiers sont envahis de trekkers. S'il y a des visages familiers, d'autres semblent sortis de nulle part. Je fais un bout de chemin avec un couple de Néerlandais en plein tour du monde.

Soudain, juste avant un pont suspendu, apparaît pour la première fois le Paungda Danda, impressionnant roc de 1 500 m de haut et 3 000 m de long. Sa surface érodée lui donne un aspect lunaire. Nous traversons ensuite une nouvelle forêt de pins et je m'étonne de ne pas m'étaler par terre car je me retourne sans cesse pour admirer ce rocher surréaliste.

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11 h, pause déjeuner. Nous faisons halte au village de Dhukure Pokhari, où la vue sur l'Annapurna II (7 937 m) est superbe. Je savoure mon dal-bhat avec Alexander et Eva (la Slovaque du premier soir). Nous repartons sous un soleil toujours aussi radieux et un ciel éclatant. La vallée s'élargit, le terrain s'aplanit, les conifères sont toujours là mais de plus en plus rachitiques. Cette vallée est d'une telle beauté que je ne sais plus où donner de la tête, entre le Paungda Danda derrière nous et l'Annapurna II devant. Un village se dessine de l'autre côté de la rivière, perché sur un promontoire : upper Pisang. Plus bas, lower Pisang, construit il y a quelques années, n'est constitué que de lodges. Celui qu'Aman a choisi est très grand et plusieurs trekkers ont déjà pris leurs quartiers.

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A partir de 3 000 m, il faut dormir plus bas que l'altitude maximale à laquelle on est monté dans la journée. Ca favorise l'acclimatation et évite le mal des montagnes. Désormais, chaque après-midi, Aman m'emmènera donc grimper un peu plus haut après notre arrivée au lodge.

Aujourd'hui, direction upper Pisang. La marche n'est pas longue mais fatigante à cause du manque d'oxygène qui se fait de plus en plus sentir. Le village est beaucoup plus authentique que celui du bas. Les maisons de pierres, recouvertes de toits plats, sont typiquement tibétaines. Je visite le gompa, qui surplombe la vallée. Ces lieux bouddhistes sont toujours empreints de sérénité. Je m'assois sur les marches et profite de la vue incroyable : face à nous se dresse l'Annapurna II, majestueux.

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Retour au lodge. Aujourd'hui, c'est douche BRULANTE (jamais contente !). Le lodge est blindé de monde et fait un peu usine. Je dîne autour du feu avec les Néerlandais et Alexander. C'est qu'il commence à faire sérieusement froid ! La salle à manger est dotée d'une... télé et d'un lecteur DVD ! Au programme ce soir : Caravan, film sur le Népal d'Eric Valli. Regarder un DVD au fin fond de l'Himalaya avec une horde de touristes me semble tellement incongru que je préfère me plonger dans mon bouquin, que je vous recommande d'ailleurs : l'excellent Shantaram, de l'Australien Gregory David Roberts. Ceux qui suivront le film ne verront même pas la fin à cause d'une coupure de courant qui durera jusqu'au lendemain matin.

Jour 7 : Lower Pisang (3 240 m) - Ngawal (3 657 m)

Aujourd'hui, deux routes mènent à la prochaine étape : celle du bas, facile, et celle du haut, difficile. Laquelle me réserve Aman ? Bingo : celle du haut, qu'il décrit comme bien plus belle et meilleure pour l'acclimatation. Le début ne présente pas de difficulté et l'Annapurna II, auquel nous tournons maintenant le dos, resplendit sous la lumière de cette heure matinale.

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Nous arrivons en bas d'une pente très abrupte. En suivant des yeux le sentier en lacet, je comprends ce qu'Aman entend par "difficile" ! Mais au fil de la marche, mes pas et mon souffle s'accordent et je trouve le bon rythme. La progression est lente, le souffle est court et le soleil est accablant, mais nous faisons des pauses régulières pour nous réhydrater. C'est aussi une bonne excuse pour savourer la vue, de plus en plus grandiose à mesure que nous grimpons.

Deux autres trekkers croisés ces derniers jours suivent le même chemin et nous échangeons des regards encourageants chaque fois que nous nous dépassons. Lors d'une pause un peu plus longue, j'apprends qu'ils sont respectivement Canadien et Finlandais.

La ligne d'arrivée semble maintenant à portée de crampons. Un dernier effort et nous atteignons Gyaru, village traditionnel perché à 3 670 m. Après cette rude grimpette, rien ne pouvait être plus gratifiant que le panorama qui nous attend. L'Annapurna II s'élève face à nous, plus magistral et plus proche que jamais. Je me sens minuscule face à ce mastodonte immaculé de plus de 7 000 m de haut. La route tracée depuis la veille se dessine au fond de la vallée. Je savoure ce moment de grâce en compagnie du Canadien autour d'un thé amplement mérité.

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D'autres paysages à couper le souffle nous attendent, alors nous empoignons nos sacs à dos et reprenons la route jusqu'à Ngawal (prononcer "Nawal"). Le sentier serpente tout doucement dans des terres de plus en plus arides. Par ici, les Annapurnas forment une barrière naturelle qui protège de la mousson, d'où la végétation de plus en plus éparse.

De l'autre côté de la vallée, à droite de l'Annapurna II (mon Annapurna préféré), défilent l'Annapurna IV (7 525 m), l'Annapurna III (7 555 m), le Gangapurna (7 454 m) et le Tilicho Peak (7 134), géants qui feront partie du décor de ces prochains jours. Mes nombreuses photos sont loin de leur rendre justice.

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Aman, incollable sur les noms des sommets et leurs altitudes, m'interroge régulièrement pour s'assurer que je retiens bien la leçon (A l'heure où j'écris ces lignes, un an après le trek, ma mémoire me joue des tours et je confonds sûrement certains sommets... Désolée pour les approximations possibles !). Souvent, je lui demande : "C'est quoi, cette montagne ?", exprès pour l'entendre répondre : "C'est pas une montagne, c'est une colline". Moi qui trouve ça bien haut pour une colline, je lui demande ensuite de préciser la hauteur. Ses réponses, du genre "4 523 m" ou "5 276 m", provoquent mon hilarité à chaque fois.

Ngawal et ses toits plats se rapprochent. La journée de marche est courte et nous arrivons au lodge vers l'heure du dal-bhat, que je partage avec un Canadien, un Allemand et Alexander. Après déjeuner, le Canadien et l'Allemand filent jusqu'à Manang, et Alexander jusqu'au village suivant, Braga, pour gagner le lac Tilicho, une des variantes du trek. Après plusieurs jours passés à marcher quelques heures ensemble, nos routes se séparent.

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Cet après-midi, la balade d'acclimatation est ardue et le vent souffle avec violence. En route pour le gompa, juché quelques centaines de mètres au-dessus du village, nous croisons les Taïwanais pressés rencontrés au début, à dos de mule : à vouloir faire la course, le mal des montagnes les a rattrapés et ils doivent redescendre.

A cette altitude, le temps change en un clin d'oeil. Si le ciel est radieux le matin, il peut devenir très chargé en début d'après-midi. Frigorifiée, je suis ravie de redescendre au village. En me baladant, je réalise à quel point ces contrées peuvent être inhospitalières. Le ciel assombri donne à Ngawal un aspect très morne, malgré le charme indéniable de ses ruelles et le sourire de ses habitants.

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Je passe quelques heures à lire dans ma chambre, mais impossible de me réchauffer, même si je suis emmitouflée dans mon duvet. Je peaufine ma technique pour tourner les pages de mon livre avec mes gants. La douche et la lessive sont remises à un autre jour : l'eau froide au baquet ne me tente guère.

Avant le dîner, je fais connaissance avec mon compagnon du soir : un Danois d'une soixantaine d'années qui voyage très régulièrement au Népal depuis vingt ans. Chaque année, il vient dans les Annapurnas et séjourne dans les mêmes lodges. Il a passé le col de Thorong La dix fois ! Le plus étonnant, c'est que cet amoureux du Népal n'a jamais eu la curiosité d'aller voir l'Everest. Nous dînons "au chaud", dans la cuisine, en compagnie des propriétaires du lodge. Ces moments passés avec la population locale sont toujours enrichissants, même si les échanges verbaux sont parfois limités. Ces personnes qui n'ont rien mais qui vous offrent tout, vous donnent un autre regard sur la vie.

Ce soir-là, c'est mon baptême de thé tibétain, un breuvage à base de beurre de yak rance à goûter au moins dans sa vie. Dès la première gorgée, je suis prise de haut-le-cœur. Les tentatives suivantes ne seront guère plus concluantes. Normalement, il est maladroit de refuser une boisson ou un plat qu'on vous offre, mais vomir devant mes hôtes ferait encore plus désordre, alors après mûre réflexion, je refourgue discrètement ma mixture infâme à Aman. Le Danois en raffole et il m'en vante les vertus anti mal des montagnes. Personnellement, je préfère de loin mes doses homéopathiques de feuilles de coca qu'un Haut-Savoyard m'a filées à KTM.

La nuit est loin d'être bonne : non seulement j'ai l'impression de me trouver dans un igloo, mais en plus, je présente les signes d'une nouvelle infection urinaire, dont j'étais pourtant débarrassée depuis mon séjour éclair à l'hôpital de Trivandrum. M'extirper de mon duvet pour aller courir dans le froid avec une envie pressante est un calvaire, et je me demande pourquoi ce genre de désagrément arrive toujours quand les toilettes sont le moins accessibles. Un parcours semé d'embûches m'attend à chaque fois. Les escaliers sont gelés donc glissants, et il faut encore parcourir quelques poignées de mètres pour accéder à ce qui fait office de toilettes (et la journée, enjamber les bestiaux qui gisent sur le sol) : une cabane pour lilliputiens qui ferme à peine. Mais au beau milieu de la nuit, avec la vessie au bord de l'explosion, c'est le cadet de mes soucis. Seul lot de consolation, et de taille : le spectacle éblouissant de la nuit étoilée.


Jour 8 : Ngawal (3 657 m) - Manang (3 540 m)

Ma nuit peu reposante est vite oubliée grâce à un nouveau lever de soleil féérique, qui teinte les cimes immaculées de lueurs rosées, le tout sous un ciel éclatant. Mais ce matin, rien à faire : mon habituel pain tibétain ne passe pas. Vu mon appétit depuis le début de mon voyage, ça ne peut être dû qu'à l'altitude.

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Aujourd'hui, nous suivons le lit de la Marsyangdi et cheminons sur un sentier large et plat. Les mastodontes de la veille nous entourent et m'impressionnent toujours autant. Au pied des montagnes, des falaises ocres aux formes étranges causées par l'érosion donnent un aspect surréaliste au paysage. Chaque pas est source d'émerveillement.

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Nous passons le splendide village de Braga, réputé pour son monastère, peu avant d'atteindre Manang. La journée de marche est très courte et nous aurions pu arriver depuis Pisang directement, mais Aman a jugé préférable de faire halte à Ngawal pour faciliter mon acclimatation. Et puis, avant le début du trek, j'ai insisté pour aller lentement et profiter ainsi de chaque instant. Les lodges ont beau avoir poussé comme des champignons dans les rues de Manang, je tombe vite sous le charme du village, situé dans un écrin de toute beauté.

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Les baies vitrées de la salle à manger du lodge donnent sur le Gangapurna et son lac glaciaire sacré, couleur turquoise. Un cadre idyllique pour prendre ses repas. Je déjeune avec le Finlandais et le Canadien rencontrés la veille, qui ont élu domicile ici aussi, mais mon appétit n'est guère revenu depuis le matin et mon plat insipide ne m'inspire pas. Plus on monte en altitude, moins c'est bon ! A la table voisine, des Américains sont outrés parce que la connexion Internet est trop lente. Moi, je suis outrée d'entendre des gens réclamer l'ADSL au fin fond de l'Himalaya alors qu'ils devraient être en symbiose avec la nature.

Après le repas, balade d'acclimatation vers le glacier. La grimpette n'est pas très longue mais fatigante. Après déjeuner, j'ai souvent une baisse de régime (pas étonnant vu les quantités gargantuesques ingurgitées) et le manque d'oxygène me complique la tâche. Mais là-haut, la vue qui nous attend vaut tous les efforts du monde. D'un côté, la barre des géants, dont le Gangapurna, tout proche, et son immense glacier. En contrebas, le lac glaciaire forme une tache turquoise contrastant avec ces terres arides. En face de nous, le Thorong Peak veille sur le chemin que nous suivrons ces prochains jours. Les maisons traditionnelles de Manang, de la même couleur que les terres, se distinguent à peine. On entend une déflagration : au-dessus de nos têtes, une avalanche se produit. Impressionnant.

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De retour au lodge, j'ai droit à ma première douche chaude depuis plusieurs jours. Un vrai luxe. Depuis le début de mon voyage, l'eau chaude est une denrée rare que j'ai appris à savourer chaque fois que j'y accès.

J'assiste ensuite à une réunion organisée par l'Himalayan Rescue Association sur le mal aigu des montagnes. L'exposé est aussi intéressant qu'inquiétant. Les symptômes les plus fréquents sont les maux de tête, la perte d'appétit et les problèmes de sommeil. Les œdèmes surviennent plus rarement, mais peuvent être mortels. Dans tous les cas, la seule chose à faire est de redescendre. Côté vessie, j'apprends avec soulagement que tout est normal : les envies de pipi récurrentes en altitude signifient que les reins sont en parfait état de marche.

Au cours du dîner, je partage mes anecdotes de voyage avec Tom et Jukki, le Canadien et le Finlandais dont je découvre enfin les prénoms. Le rituel de voyage consiste à demander d'abord de quel pays on vient, où on est allé, où on va et si on a la diarrhée. Le prénom, l'âge et le métier sont des informations superflues qu'on ne demande qu'au bout de plusieurs heures, plusieurs jours voire jamais. Ils se sont rencontrés quelques jours plus tôt et ont décidé de faire un bout de chemin ensemble. Tom passe environ six mois par an sur la route depuis plusieurs années. Un mode de vie qui me fait rêver... Quant à Jukki, qui s'appelle en vrai Jukka, il sillonne les chemins d'Asie depuis quatre mois. Après cette soirée fort sympathique, je me glisse dans mon duvet pour une nuit plus chouette que la veille (ma chambre est en face des toilettes et il ne fait que - 10°, youpi !).

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Jour 9 : Glandouille Acclimatation à Manang

Grasse mat' jusqu'à 7 h : aujourd'hui, c'est repos ! Plus exactement, acclimatation. Plus que trois jours nous séparent de Thorong La et ses redoutables 5 416 m. Pour franchir ce col en toute sécurité, pas question de jouer les Indiana Jones : le corps doit être habitué à l'altitude.

Le matin, direction un gompa perché 700 m au-dessus du village, où vit le "lama aux 100 roupies". La première demi-heure est une torture : ça grimpe dur et surtout, l'oxygène a du mal à trouver son chemin jusqu'à mes poumons. Petit à petit, je finis par retrouver mon souffle.

Un lama tibétain âgé de 93 ans nous reçoit dans une pièce exigüe dont les murs sont recouverts de photos de trekkers occidentaux. Au programme : une bénédiction qui nous aidera à franchir le Thorong La. Aman s'y colle en premier. Le lama récite des mantras et l'asperge d'eau sacrée tandis qu'une vieille femme aveugle au visage flétri fait tournoyer un moulin à prières. La même cérémonie m'est réservée. Le lama m'attache un collier bouddhiste autour du cou en guise de porte-bonheur.

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Dehors, les montagnes offrent un spectacle magique. Assis à quelques mètres de là, Tom me fait signe de le rejoindre. Nous passons un moment à admirer ce panorama époustouflant, dans un silence quasi mystique. Je ne crois pas avoir déjà vu de paysages d'une telle beauté. Le temps semble suspendu. Ces vastes espaces où la nature est reine me donnent un sentiment de liberté infini.  L'arrivée d'un groupe met fin à notre quiétude et le vent nous glace, alors nous amorçons doucement la descente, très à pic.

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L'appétit revient, même si Manang n'est pas l'endroit le plus gourmet des Annapurnas. Le reste de la journée est passé à lire, boire du thé, manger (sandwich au fromage de yack presque à la hauteur de mes espérances) explorer le village et me ravitailler : nouveau jeu de piles (qui n'ont jamais fonctionné), un bâton de marche, une troisième paire de gants (!) et quelques Snickers pour faire le plein d'énergie à Thorong La. Décidément, prendre une douche chaude deux jours d'affilée est une utopie : un groupe d'Estoniens a décidé de passer avant tout le monde et quand Bibi peut enfin se décrasser, l'eau est gelée. Soirée très sympa avec Tom et Jukki, qui nous raconte ses anecdotes de voyage rocambolesques en Asie du Sud-Est.


Jour 10 : Manang (3 540 m) - Yak Karka (4 018 m)

Comme tous les matins, joli lever du soleil, auquel j'assiste avec Tom et Jukki sur le toit de l'hôtel. Après avoir réglé l'addition, plus salée que d'habitude (plus on monte, plus c'est cher !), nous quittons Manang. Ce matin, il y a un monde fou. Je fais un bout de chemin avec un couple de Français expatriés à Dublin. Autour de nous, c'est de plus en plus minéral, mais toujours grandiose. Alors que je marche tranquillement, Aman me pousse subitement : au-dessus de nous, un troupeau de "blue sheep" vient de provoquer un mini-éboulement.  Et là, je vois une pierre passer non loin de moi. Je l'ai échappé belle !

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Nous atteignons Yak Karka, l'étape du jour, vers l'heure du déjeuner. Le lodge est niché à l'écart du "bourg", avec la montagne pour seule vue. Cerise sur le gâteau, j'ai ma propre salle de bains. Mais ma joie est de courte durée : il n'y a pas d'eau. Dal-bhat avec un couple de Suisses-Allemands qui loge ici pour la nuit, dont la femme parle népali.

La traditionnelle balade d'acclimatation est difficile. De toute évidence, je ne suis pas au mieux de ma forme aujourd'hui. Les effets de l'altitude commencent à me monter au cerveau : je discute avec les yacks, qui ne se montrent pas bien loquaces. Le soir, une Allemande m'avouera qu'elle n'arrive plus à remplir ses grilles de Sudoku. Chacun ses faiblesses.

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De retour au lodge, le froid est tel que je préfère aller faire un tour histoire d'essayer de me réchauffer, en vain. Les nuages menaçants donnent un aspect lugubre au village, qui n'est constitué que de lodges. Devant le peu de possibilités qui s'offrent à moi, je rentre bouquinner et passe l'après-midi frigorifiée, à boire du thé pour me réchauffer. Sous le coup de l'ennui, je regagne mon igloo encore plus tôt que d'habitude.

Jour 11 : Yak Kharka (4 018 m) - Thorong Phedi (4 450 m)

Deux routes mènent à Phedi, mais celle du haut est dangereuse ces jours-ci pour cause de neige, alors nous prenons celle du bas. Aman m'annonce un passage très difficile, mais à ce moment-là, j'ai trouvé le bon rythme et mes cuisses sont les seules à souffrir. Un peu plus tard, un panneau indique des risques de glissement de terrain et d'éboulements, ce qui nous oblige à progresser avec vigilance en levant régulièrement la tête.

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Arrivée à Phedi très tôt. Le planning de ces derniers jours me convient parfaitement : quatre heures de marche tout au plus, ce qui permet de s'acclimater en douceur. Le lodge, très grand, accueille aujourd'hui de nombreux trekkers, dont de bruyantes hordes d'Israéliens post-service militaire redoutés tant par la population que par les voyageurs, ainsi que des groupes de Français insupportables.

Après m'être installée, direction High Camp pour la promenade d'acclimatation. La progression est ralentie par l'altitude et les éboulis de pierres rendent le terrain difficile. 1 heure plus tard, arrivée à un lodge et pause thé, où je retrouve Tom, Jukki et les Français de Dublin. Je grimpe jusqu'à un promontoire, mais le vent me fait vaciller et je me hâte de redescendre. Dans cet environnement très hostile, le ciel menaçant donne aux sommets enneigés une allure austère et surréaliste.

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Je passe le reste de la journée à boire du thé, manger, boire du thé, manger et manger, en compagnie de Stuart, un Anglais, Tom et Jukki, qu'on ne présente plus, un autre Anglais et une Australienne, qui sera ma compagne de chambre pour la nuit car le lodge est complet. Il règne autour de la tablée une ambiance joyeuse et décontractée. Nous échangeons nos expériences respectives de problèmes intestinaux, un des sujets de prédilection des voyageurs. Mes histoires d'infection urinaire apportent cependant une nouvelle dimension à la discussion. Nous sommes tous surexcités à l'idée de franchir Thorong La le lendemain. Je ne supporte plus ce froid glacial et il me tarde de retrouver une température décente.

Tous les trekkers arborent la même tenue flamboyante : faux Gore-Tex acheté à Thamel ou Pokhara, bonnet, écharpe, chaussettes dans les tongs (moi la première, et j'assume). A plus de 4 000 m d'altitude, toute considération esthétique est superflue. Certes, l'absence de miroirs est une aubaine.

Aman m'annonce la couleur : il veut me faire lever à 3 h du matin. Ca ne me paraît pas nécessaire de commencer à grimper dans le froid à une heure aussi inhumaine : aucune envie de finir comme Maurice Herzog, amputé des doigts à cause de gelures après son ascension de l'Annapurna I. Après négociation, Aman accepte de commencer 1 heure plus tard.

Après cette belle journée, je regagne ma chambre à regret, mais le lendemain, j'ai intérêt à être fraîche et dispose. Manque de bol, impossible de trouver le sommeil à cause de l'altitude. Comme si ça ne suffisait pas, je suis prise d'un léger mal à la tête et je n'arrive pas à mettre la main sur mon paracétamol. A mesure que les heures défilent, l'anxiété monte. Et si mon mal à la tête empirait, m'empêchant de franchir le col ? Quand j'entends les plus courageux se lever à 3 h, je sais alors que je n'ai plus aucune chance de trouver le sommeil réparateur dont j'ai tant besoin.

Jour 12 : Phedi (4 450 m) - Muktinath (3 800 m)

A 4 h, Aman frappe à ma porte. L'absence de sommeil et l'éventualité de devoir faire une croix sur Thorong La me mettent d'humeur maussade. Faire demi-tour alors que je suis si près du but serait une immense déception.

J'ai superposé tellement d'épaisseurs que je ne sais pas si je vais pouvoir poser un pied devant l'autre aisément : un caleçon long, un pantalon, deux paires de chaussettes montantes, un t-shirt technique à manches longues, un t-shirt à manches courtes, une polaire, un anorak, trois paires de gants, un bandeau pour les oreilles généreusement prêté par Tom, un bonnet et pour finir, ma frontale vissée tant bien que mal par-dessus ces deux couches.

Lentement, nous commençons l'ascension jusqu'à High Camp, dans le froid et l'obscurité. Mon corps semble avoir enregistré l'itinéraire et je n'ai pas de difficultés à retracer mes pas de la veille. Au fil de la marche, le mal à la tête se dissipe et je retrouve le sourire. 1 heure plus tard, arrivée à High Camp. Première étape franchie avec succès.

Le jour s'est levé. Le soleil est étincelant et la neige crisse sous nos pas. Un mantra mis au point la nuit pendant les heures passées à compter les yacks tourne en boucle dans ma tête : "Thorong La, tu m'auras pas". Décidément, l'altitude a une incidence néfaste sur mes capacités cérébrales. J'observe les autres trekkers avec amusement : le manque d'oxygène ralentit fortement notre cadence et chaque pas s'effectue dans la plus grande lenteur. Et pourtant, depuis High Camp, la montée est douce.

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Quelques heures et une succession de faux sommets plus tard, j'atteins les drapeaux à prières de Thorong La. L'euphorie m'envahit. Aman, fier de moi, fait des bonds partout. Je rejoins Tom, arrivé juste avant nous. Le col, pas encore envahi par les foules, nous appartient pendant quelques instants. Jukki débarque à son tour et immortalise ce moment indescriptible, entremêlé de joie et d'émotion (mes piles, pas fan du froid, ne m'ont laissé le temps de prendre qu'un seul cliché). Une fois encore, le panorama me laisse sans voix. Le contraste entre le nord et le sud est saisissant : au sud, les cimes enneigées s'étendent à l'infini. Au nord, la vallée de la Kali Gandaki nous tend les bras ; les terres arides semblent avoir été peintes sur le ciel, formant le plus beau des tableaux.

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A court d'oxygène, nous amorçons la descente car la route jusqu'à Muktinath est encore longue. L'euphorie me donne des ailes. Sensation de courte durée puisque très vite, mes genoux me rappelleront à quel point il est plus pénible de descendre que de monter. La pente, à pic et tortueuse, oblige à ralentir la cadence afin de ménager les articulations. A mi-parcours, mes genoux me font tellement souffrir que chaque pas est un supplice.

Une oasis de verdure se dessine peu à peu au coeur de ce paysage désertique : Muktinath, dont le célèbre temple attire des flots de pèlerins hindous. A l'arrière-fond, le Dhaulagiri, du haut de ses 8 172 m, veille sur le village. La pente abrupte laisse enfin place à un chemin plat. La dernière ligne droite jusqu'à Muktinath me semble interminable, d'autant plus qu'Aman a choisi le lodge le plus éloigné de l'entrée du village. Après ces 8 heures de marche éreintantes, c'est avec bonheur que je pose mes affaires et file sous la douche chaude. Quand on n'a pas quitté ses vêtements depuis 3 jours, il n'y a rien de plus jubilatoire.

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Mes compagnons de lodge sont un groupe d'Allemands qui font le trek de Jomsom, c'est-à-dire une partie seulement du tour des Annapurnas. Je m'incruste à leur table, mais sur tout le groupe, seules deux personnes parlent anglais. La conversation est maladroite : ils me posent des questions via leur "interprète", sans jamais me regarder dans les yeux. "Tu voyages toute seule ?" ; "T'as pas peur ?" ; "Tu laves ton linge ?" ; "Tu prends les transports locaux ?" Pas très à l'aise au milieu de ce groupe qui me prend pour une extraterrestre, je regagne ma chambre, les genoux en surchauffe - la crème ayurvédique que j'ai appliquée s'est fortement activée à proximité du feu sous la table...

Jour 13 : Muktinath (3 200 m) - Kagbeni (2 800 m)

Une visite au temple marque le début de cette treizième journée. Aman, fervent croyant, se prête à chaque rituel avec la plus grande dévotion. Avant de rebrousser chemin jusqu'à l'hôtel, il noue deux colliers hindous porte-bonheur autour de mon cou. Avec le cordon bouddhiste que je porte déjà, je commence à être bien décorée. De retour au lodge pour récupérer nos affaires, je discute avec un Néerlandais qui vient de franchir Thorong La en 5-6 heures alors que la moyenne est de 8 à 12 heures !

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Les genoux reposés, je saute dans mes chaussures, impatiente de sillonner de nouvelles routes dans un nouveau décor. Les paysages, bien que toujours désertiques, sont moins austères qu'avant Thorong La. Ca et là, des tapis de verdure émaillent les terres à proximité des cours d'eau. Jarkhot, forteresse d'une beauté à couper le souffle, se dresse fièrement sur son promontoire.

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Au bout de quelques heures apparaît Kagbeni, magnifique village tibétain niché au creux d'une oasis, entouré de neiges éternelles au sud et des terres désolées du Mustang au nord. Je m'installe dans un lodge immense et dispose d'une chambre très confortable, la plus agréable depuis le début du trek :  salle de bains privée, vraie douche avec eau chaude. Ce tronçon du trek (dit "trek de Jomsom", une partie seulement du tour des Annapurnas, en sens inverse, jusqu'à Muktinath) offre un hébergement de meilleure qualité et la nourriture est tellement occidentalisée qu'on surnomme ce trek "The apple pie trek", dessert qui figure sur tous les menus.

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Kagbeni a le cachet habituel des villages tibétains : maisons aux pierres ovales et toits plats, ruelles pavées et étroites où il fait bon flâner et surprendre des instants de vie quotidienne. Kagbeni est la porte d'entrée du Mustang, le royaume interdit ouvert aux étrangers depuis 1992 seulement. Je passe un moment à rêvasser près du checkpost, sans pouvoir franchir la frontière, me promettant de fouler un jour ces terres hostiles malgré le permis qui coûte la bagatelle de 700 $...

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Ce soir-là, encore aucune tête connue au lodge, rempli de groupes, qui sont légion sur le trek de Jomsom (car plus court et plus facile que le tour entier) Je dîne avec un Russe muet et son ami beaucoup plus loquace qui a tout vu, tout fait et qui sait tout mieux que tout le monde. Je craque pour une tarte au chocolat, qui s'avère être un pain tibétain fourré au... Snickers. Verdict ? J'aime le pain tibétain, j'aime les Snickers, donc j'aime le pain tibétain fourré au Snickers. Ca n'est que le début d'une série de mets plus originaux les uns que les autres, les recettes occidentales ayant apparemment du mal à être suivies à la lettre dans l'Himalaya. Je termine le repas sur quelques gorgées de Raski (ortho ?), un alcool népalais à peine meilleur que le thé tibétain qui désinfecte le gosier.


Jour 14 :
Kagbeni ( 2 800 m ) - Marpha (2 670 m)

Avant de partir, le propriétaire du lodge me noue un foulard tibétain autour du cou pour me porter chance. Malgré tous les gris-gris que je porte déjà, il a dû penser qu'il risquait de m'arriver un pépin. C'est donc décorée comme un sapin de Noël que je reprends la route avec Aman le long de la Kali Kandaki, dans la vallée la plus profonde du monde. En dépit d'un sentier plat, la marche est fatigante à cause des vents violents qui balaient cette région quotidiennement.

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Au checkpost de Jomsom, la capitale administrative de la région, je tombe sur Tom et Jukki, pas vus depuis Muktinath, sauf Jukki, croisé la veille au détour d'une ruelle de Kagbeni. Je propose de leur réserver une chambre dans le lodge où Aman a prévu de s'arrêter.

Quelques heures plus tard, nous atteignons le village de Marpha, renommé pour son cidre. J'hérite de la chambre numéro 7, grande comme une boîte à chaussures et toute biscornue. Le lit, proportionnel à la taille de la chambre, est fait pour accueillir un enfant de 5 ans. Le propriétaire m'annonce fièrement que cette chambre porte bonheur. Et un gri-gri de plus semé sur ma route !

Eva, Tom et Jukki débarquent à leur tour et nous "dal-bhatons" ensemble, avant que chacun parte explorer le village de son côté. Marpha ne déroge pas à la règle et je tombe vite sous le charme de ses jolies ruelles où les Tibétaines, redoutables femmes d'affaires, alpaguent les touristes. Ici, le commerce semble être une activité particulièrement bien rodée et le village paraît plus prospère que les autres.

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Aujourd'hui, c'est le nouvel an népalais : nous nous apprêtons à fêter le passage en l'an 2064. Au menu de ce soir : lasagnes népalaises, et j'insiste sur le "népalaises" puisqu'elles n'ont ni l'aspect ni le goût des lasagnes italiennes, arrosées d'Everest, la bière nationale. Jukki, plus téméraire que nous, tourne au raski. Ce soir-là, l'ambiance est festive au restaurant. Lorsque je regagne ma micro-chambre après un crochet sur le toit pour admirer les étoiles, il est déjà très tard.

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Jour 15 : Marpha (2 670 m) - Ghasa (2 010 m)

Cette journée est placée sous le signe de la nouveauté : désormais, Tom et Jukki trekkent officiellement à mes côtés. Depuis le temps qu'on les croisait, Aman les avait de toute façon déjà adoptés.

A cette altitude, la végétation a repris ses droits et les conifères recouvrent à nouveau les pentes. Nous traversons de jolis villages takhalis - l'une des nombreuses ethnies du pays - tout en admirant la vue sur le Dhaulagiri (8 167 m).


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Arrivée à Ghasa en milieu d'après-midi et installation dans un lodge rempli de groupes. J'hérite d'une chambre ultra-confortable avec salle de bains privée. Dîner avec mes deux compagnons de route ainsi qu'un Français  lourdingue qui adore s'écouter parler. Fatiguée par cette longue journée et surtout, par la conversation, je mets fin au supplice et regagne mon lit douillet.

Jour 16 : Ghasa (2 010 m)- Tatopani (1 190)

Le risque de mal aigu des montagnes étant loin dernière nous, les journées de marche sont maintenant plus longues, au grand désespoir de mes membres inférieurs. Mes genoux sont à peine remis de Thorong La et mes pieds, constellés d'ampoules à chaque orteil ou presque, me font souffrir atrocement. Manque de chance, les descentes n'en finissent pas et chaque pas est accompagné d'un rictus de douleur. Résultat : je passe moins de temps à admirer les paysages.

Nous arrivons au village de Tatopani, réputé pour ses sources thermales (en népali, "tato" signifie "chaud" et "pani", "eau"). Epuisée, je file faire une bonne sieste dans mon bungalow (s'il vous plaît) et fais l'impasse sur les sources à cause de l'état de mes pieds, qui risqueraient de partir en lambeaux au contact de l'eau chaude.

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Jour 17 : Tatopani (1 190 m) - Sikha (2 000 m)

Les orteils toujours en compote, je reprends la marche en souffrant en silence. Le paysage est similaire à celui des premiers jours de trek et les cultures en terrasse défilent sous nos yeux. Cette région est envahie de groupes de Français pas toujours agréables et je me retiens de pousser dans le ravin ceux qui nous saluent d'un "bonjour" au lieu d'un "namaste" ou d'un "hello".

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Jour 18 : Sikha (2 000 m) - Ghorepani (2 750 m)

Des marches, des marches, encore des marches... Depuis quelques jours, les sentiers ont cédé la place aux escaliers. Ca ne s'arrête jamais et nous arrivons à Ghorepani sur les rotules. La simple vue des marches finit par me donner la nausée.

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Jour 19 : Ghorepani ( 2 750 m)- Hille ( 1 475 m)

La journée débute aux aurores : direction Poon Hill, un point de vue d'où nous admirerons le soleil se lever sur la chaîne himalayenne. Pas franchement réveillée ce matin-là, j'ai du mal à mettre un pied devant l'autre. Mais comme d'habitude, la vue qui nous attend vaut tous les efforts du monde. La magie de l'instant est pourtant quelque peu brisée par les bataillons de touristes qui ont envahi les lieux - nous sommes hélas très loin d'avoir la montagne pour nous.

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Après un moment à profiter de ce panorama époustouflant, nous reprenons la route pour Hille, notre dernière étape. Une longue descente nous attend avant d'atteindre le village, mais mes genoux et mes pieds tiennent le coup. Le soir, pendant que nous avalons notre dernier dîner, une pluie torrentielle s'abat sur la vallée.

Jour 20 : Hille (1 475 m) - Naya Pul (1 070 m) - Pokhara (820 m)

Aujourd'hui, je lace mes chaussures avec un pincement au coeur. Le trek touche à sa fin et j'ai du mal à accepter le retour à la civilisation. Après quelques heures de marche et une halte à une cascade, le moment tant redouté arrive. Nous montons à bord du bus qui nous ramènera à Pokhara. L'arrivée en ville est étrange. J'ai l'impression d'avoir été coupée du monde pendant des siècles. Mon corps a beau avoir besoin de repos, la sérénité et la splendeur des chemins de montagne me manquent déjà.

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25 mars 2008

Pokhara

Jeudi 22 mars 2007

Sitôt arrivées à Pokhara, Alex, Céline et moi levons la tête dans l'espoir d'entrevoir les 6 000, 7 000 et 8 000 m qui entourent la ville. Les Occidentaux ne jurant que par cette ville située au bord du majestueux lac Phewa Tal et bordée de hauts sommets himalayens, nous pensions tomber sous le charme. Mais pour le moment, il n'en est rien. On a beau les chercher, les fameux sommets ne semblent pas décidés à montrer le bout de leur nez. Tout compte fait, rien d'étonnant : mars-avril est une bonne saison pour visiter le Népal, mais la période la plus favorable reste octobre-novembre, quand les cieux sont le plus dégagés.

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Comme d'habitude, le lendemain, lever aux aurores. Un taxi nous dépose à Sarangkot (1 500 m), point de vue situé à quelques kilomètres de Pokhara, où nous admirons le soleil se lever sur la chaîne himalayenne. La splendeur du spectacle nous fait oublier les hordes de touristes - notamment un groupe de Japonais mémorable. Devant nous apparaissent, d'ouest en est, le Dhaulagiri (8 167 m), le fameux Machhapuchare ou Fishtail (6 997 m) et l'Annapurna I (7 937 m), sous l'incroyable lumière rosée du matin [photos dans le désordre et impossibles à centrer. Il y a des jours comme ça...].

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Puis le taxi nous dépose en bas du chemin qui mène à la World Peace Pagoda, qui surplombe le lac et offre un panorama superbe des environs. Après une rude montée, nous arrivons à la pagode où une jolie vue nous attend, même si le ciel est trop voilé pour que les montagnes se reflètent sur le lac comme c'est le cas en automne. Nous reprenons la route et traversons plusieurs villages. Des gosses pourris gâtés par les touristes ne nous lâchent pas d'une semelle et martèlent des "Hello-schoolpen-please" toutes les 30 secondes ; nous avons du mal à les semer. Si Alex, très sportive, a l'habitude de la montagne, Céline et moi sommes à la traîne, peinant sous la chaleur écrasante. Pas très encourageant pour le trek de 3 semaines que je compte commencer dans quelques jours ! Du coup, nous écourtons un peu la balade et redescendons à Pokhara, où les filles passeront leur dernière nuit avant de rentrer à KTM.

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Le lendemain matin, après le départ d'Alex et Céline, une page se tourne et c'est une nouvelle aventure qui commence pour moi. Les premiers instants de solitude sont toujours étranges; mais aller vers l'inconnu et vivre au jour le jour sans savoir de quoi demain sera fait, font partie des aspects les plus grisants du voyage en solo et je retombe toujours rapidement sur mes pattes.

Ma mission pour cette nouvelle semaine qui commence ? Trouver des compagnons de trek, et rapidement. Paradoxalement, c'est dans les ghettos à touristes que j'ai le plus de mal à lier connaissance. Pokhara n'échappera pas à la règle, bien au contraire. Malgré tous mes efforts, au bout de plusieurs jours, je me résignerai à sillonner les chemins de montagne seule (avec un guide tout de même). J'ai écumé tous les musées du coin, la solitude me pèse et mes chaussures de marche ne demandent qu'à être chaussées, alors pourquoi m'infliger de rester ?

Après m'être renseignée auprès de différentes agences, je me tourne finalement vers "3 Sisters", dont la particularité est de fournir des guides et porteurs de sexe féminin pour les trekkeuses en solo. En plus d'éviter toute ambiguïté (les Népalais ne sont pas comme les Indiens, mais passer trois semaines en quasi tête-à-tête avec une Occidentale peut leur donner des idées déplacées !), cela a le mérite de donner un emploi aux Népalaises, en marge de la société. Mais je souhaite partir deux jours plus tard et le seul guide disponible est... un homme. D'après Nikki, l'une des trois soeurs fondatrices de l'agence, Aman est leur meilleur guide et elle m'encourage à partir avec lui. L'agence a pignon sur rue et je suis pressée d'aller me dégourdir les jambes, alors j'accepte sans ciller. Le lendemain, après ma rencontre avec Aman, dont le visage jovial ne peut qu'inspirer confiance, je sais que j'ai fait le bon choix. Le reste de la journée, je m'approvisionne en vitamines, médicaments et diverses choses susceptibles de m'être utiles pendant le trek. Le Tour des Annapurnas a beau être l'un des treks les plus balisés au monde, nous sommes dans l'Himalaya et mieux vaut ne pas tomber en rade d'immodium ou de piles pour son numérique à 4 000 m d'altitude. Après avoir équilibré Regatta le mieux possible, je m'endors le sourire aux lèvres, prête à vivre ce qui restera l'expérience la plus forte de mon voyage.

27 janvier 2008

Royal Chitwan National Park

Mars 2007

A une heure indécente, Alex, Céline et moi embarquons dans un bus typiquement népalais, c'est-à-dire, délabré. Cap sur Chitwan, dans le Terai, la seule région de plaines du pays. Réserve naturelle de 932 km2, Chitwan accueille plus de 50 espèces de mammifères : tigres, ours, rhinos unicornes, singes, léopards, éléphants... sans oublier 450 sortes d'oiseaux et 67 types de papillons. Malheureusement, ces espèces sont menacées  : en 2000, on dénombrait environ 500 rhinos unicornes; en 2005, il n'en restait plus que 372.

Malgré un trajet sans encombres (= le bus ne fonce pas dans le décor), je suis loin d'être au mieux de ma forme : depuis la veille, nausées, fatigue, diarrhée et perte d'appétit (symptôme le plus alarmant), sont venues me perturber.

Après avoir rembarré les hordes de rabatteurs plus féroces que jamais à la sortie du bus, nous grimpons à bord d'une jeep et filons à l'hôtel, situé à deux pas de la rivière dans un cadre idyllique et dépaysant. L'endroit rêvé après ces deux semaines passées à KTM. Adieu pollution, foule grouillante et concerts de klaxons. Changement de décor, changement de climat : très vite, une chaleur moite nous enveloppe. Après nous être installées dans notre joli bungalow, nous organisons nos activités et optons pour un package personnalisé : le soir-même, spectacle "traditionnel" spécialement concocté pour les touristes, suivi le lendemain d'une balade en pirogue, d'une rando dans la jungle, du bain des éléphants puis, pour finir en beauté, d'une balade à dos d'éléphant. La journée s'annonce bien remplie ! L'hébergement et les repas sont inclus et illimités. Sauf, bien sûr, pour la malade de service, condamnée au savoureux régime riz blanc-coca-antibio. Un régal.

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Les filles passent l'après-midi au village tandis que je fais une bonne sieste, bien sûr entrecoupée de moults allers-retours aux toilettes. Après dîner, nous allons assister à une danse traditionnelle Tharu (l'ethnie principale du Terai), qui me rappelle quelques spectacles auxquels j'ai assisté en Inde du Sud.

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Le lendemain, lever à l'aube : qui va traquer rhinos, tigres et éléphants ? C'est nous ! Pour commencer, nous prenons place à bord d'une étroite pirogue rasant la surface de l'eau. Ca tombe à pic : la rivière est infestée de crocos. En silence, nous nous laissons glisser lentement au fil de l'eau, dans l'atmosphère féerique du matin. Le seul croco que nous verrons, timide, ne se laissera observer que de loin. Une myriade d'oiseaux plus magnifiques les uns que les autres viendront virevolter au-dessus de nos têtes ou se poser sur les berges.

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En regagnant la terre ferme, une surprise nous attend, et pas des moindres : un rhino unicorne galope à quelques centaines de mètres de nous ! C'est d'autant plus impressionnant que nous sommes à pied, lâchées dans la jungle, ce qui fait de nous d'éventuelles cibles... Nos estomacs se nouent au fur et à mesure que le guide nous explique comment réagir si on rencontre un mammifère affamé ou qui aurait envie de nous piétiner. Comme j'ai bien retenu la leçon et qu'on n'est jamais à l'abri de rien, voilà donc ce que vous devrez faire si vous êtes un jour confrontés à ces situations : un rhino vous pourchasse ? Courez en zig-zag ou grimpez à un arbre. Vous tombez nez-à-nez avec un ours ? Rassemblez-vous et faites un tintamarre d'enfer. Vous croisez la route d'un tigre ? Là, c'est dommage... Seule une prière pourrait peut-être vous sauver. Ca ne nous rassure qu'à moitié de savoir que les rhinos ont une piètre vue, qu'ils savent encore moins grimper aux arbres que nous, et qu'on a peu de chances de tomber sur un tigre. Pour couronner le tout, les fameux arbres ne sont même pas "grimpables".

Hop, on resserre nos lacets de chaussures, on respire un bon coup et on se met en route. Après le discours du guide, on espère presque ne pas croiser une de ces charmantes créatures chargeuses/mangeuses d'hommes. Pourtant, on est là pour ça, non ? Au final, mis à part Céline dont le sang servira de repas aux sangsues à quelques reprises, aucune attaque ne sera à déplorer. Nous voilà presque déçues... Nous verrons tout de même un croco, des traces de rhino que le guide nous fera suivre, et pas mal de singes volant d'arbres en arbres en poussant des cris aigus.

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Après la balade, retour à l'hôtel où nous enfilons nos maillots : c'est l'heure du bain des éléphants. Direction la rivière où le "maître des éléphants" nous colle une pierre ponce entre les mains. Et que ça frotte ! Alex et moi n'osons pas appuyer trop fort de peur de l'écorcher... Vu l'épaisseur de sa peau, aucun risque pourtant ! Notre pachyderme, très joueuse, se laisse dorloter et semble prendre son pied. D'ailleurs, nous faisons gaffe aux nôtres : si une de ses pattes dérape, c'est le broyage assuré. La toilette terminée, on rentre se doucher, enchantées par cette expérience unique qui nous a fait régresser en enfance.

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Après un nouveau déjeuner divin au riz blanc arrosé de coca pour moi, nous retrouvons notre pachyderme atitrée pour une balade dans la jungle, perchées sur son dos. Nous nous asseyons dans une sorte de panier, chacune à un angle, les jambes ballantes. Conseil d'amie si vous projetez de vous balader à dos d'éléphant : pensez à vous armer de coussins, sinon, votre postérieur risque d'être traumatisé quelque temps. Après une traversée du village qui nous semble interminable, nous pénétrons enfin dans la jungle. Nous juchons tellement haut que nos visages ramassent toutes les branches d'arbres et les toiles d'araignées au passage. Cet après-midi, nous serons gâtées : nous verrons de nombreux oiseaux, des paons en pleine parade, des biches, des crocos, et surtout, pas moins de 5 ou 6 rhinos. Approcher ces mammifères d'aussi près restera une expérience forte, même si on a l'impression qu'ils sont domestiqués et mis là exprès pour faire plaisir au touriste...

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Le lendemain matin, après une bonne nuit de sommeil amplement méritée après cette jourée bien remplie, nous grimpons dans un bus aussi luxueux que celui qui nous a conduites à Chitwan. Pokhara, son lac et ses montagnes nous attendent.

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12 décembre 2007

Les chemins de Katmandou

Samedi 3 mars 2007.

Après quatre mois de bourlingages riches en émotions, je quitte Mother India et m'envole pour d'autres horizons. En foulant pour la première fois le sol de son voisin népalais, je réalise un rêve de longue date. Shangri-La, les rizières à perte de vue, les plus hauts sommets de la planète, la spiritualité bien ancrée, les visages illuminés de sourires... Autant d'images que m'évoque alors ce royaume coincé entre l'Inde et la Chine.

Hypnotisée par les cultures en terrasses verdoyantes qui défilent sous mes yeux et par les premiers sommets qui se dessinent au loin, je ne décolle pas le nez du hublot entre Varanasi et Katmandou. Visiblement exténuée par les malheureuses 45 minutes de vol et le quart d'heure de décalage horaire (le Népal tient à se distinguer de son voisin indien !), je m'endors une partie de l'après-midi et rate Holi, le fameux festival où la foule s'arrose de couleurs éclatantes.

Le lendemain matin, cap sur le centre historique de Katmandou. L'enchevêtrement des rues de la vieille ville mène à Durbar Square, place parsemée d'une cinquantaine de temples splendides et accueillant l'ancien palais royal. L'architecture népalaise est notamment caractérisée par les fenêtres ciselées et les pagodes à toits multiples, héritage de l'art newar, l'un des peuples de la vallée de Katmandou.

La plus grande curiosité de la place est sans doute la maison de la Kumari, la déesse vivante qui montre parfois le bout de son nez contre quelques roupies : à l'âge de 4 ans, une fillette est choisie pour incarner la déesse Durga, selon 32 critères de perfection : une peau sans défaut, une excellente santé, un horoscope adéquat... Elle est alors séparée de sa famille et part vivre à Durbar Square, dans une maison où s'activent une ribambelle de serviteurs dévoués. L'arrivée de ses règles - ou même une blessure-, signe d'impureté, met fin à son "mandat" et une nouvelle Kumari est aussitôt choisie. C'est pour éviter tout risque d'écorchure que la Kumari ne sort que lors de festivités, promenée sur un char. La Kumari connaît souvent un triste destin car la légende dit que celui qui l'épousera mourra bientôt, ce qui rend leur réinsertion difficile.

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Après Varanasi et l'Inde en général, Katmandou m'apparaît d'abord comme une bouffée d'oxygène. Plus tranquille, moins polluée, moins grouillante, moins sale. Mais au bout de quelques jours, je changerai d'avis. Les ruelles pleines de charme de la vieille ville contrastent avec Thamel, cet épouvantable quartier touristique flanqué d'échoppes vendant de faux Gore Tex ou des fringues "hippie", de restaurants offrant toutes les saveurs du monde, de supérettes ravitaillant les trekkeurs sur le départ, de cyber cafés qui ne connaissent pas l'ADSL, de librairies où troquer ses bouquins, d'agences où organiser son trek, etc. Le code de la route est un concept encore inconnu et les rabatteurs se jettent voracement sur le moindre touriste fraîchement débarqué. Non, merci, je ne veux pas de plumes de paon, ni de taxi, ni de Baume du tigre, ni de hash...

Triste spectacle que celui des gamins des rues, prêts à tout pour récolter quelques roupies destinées à acheter de la colle et se shooter avec. De nombreuses associations tentent de les réinsérer, mais la tâche est ardue.

Je profite d'être à Katmandou pour régler un tas de choses qui m'occuperont plusieurs jours : changer la date de mon billet retour, faire ma procuration pour les élections, glaner des infos sur les treks, obtenir un nouveau visa indien (comme je suis sympa, je vous épargne un looong paragraphe). La routine de voyage...

Entre deux "corvées administratives", j'explore la vallée, qui peut se targuer d'accueillir pas moins de six sites classés au Patrimoine de l'Unesco. A deux pas de Katmandou se trouve Swayambu, surnommé Monkey Temple à cause des singes qui y ont élu domicile. Après une longue montée, on accède à un stupa, monument bouddhiste dont la partie qui s'élève vers le ciel représente l'oeil du Bouddha. A peine plus loin, Bodnath offre le plus grand stupa du pays. La forte influence tibétaine et la tranquillité qui y règne rendent cet endroit magique, surtout lorsque le soleil se couche et qu'il pare les drapeaux à prières de mille couleurs.

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Patan et Bhaktapur, anciennes cités royales parsemées de palais et de temples dédiés aux divinités hindoues et bouddhistes, sont les deux joyaux de la vallée. Bhaktapur, bourgade moyenâgeuse, est littéralement envoûtante. L'absence de circulation, les rues pavées, l'architecture newar, les temples à étages, l'incroyable place où s'affairent les potiers... Ici, le temps semble s'être arrêté.

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Quant à Pashupatinath, elle est au Népal ce que Varanasi est à l'Inde : un sanctuaire sur les bords de la Bagmati où tout Népalais de confession hindoue rêve d'être incinéré lorsqu'il quittera ce monde.

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Après deux semaines au coeur de l'ancienne destination phare des hippies, les hauts sommets m'appellent et mes jambes ne demandent qu'à grimper... Avant de rejoindre Pokhara pour le départ de mon trek dans les Annapurnas, je ferai un crochet par Chitwan, parc naturel du Terai, au sud du pays, accompagnée de deux Françaises : Alex, venue s'approvisionner en produits népalais pour sa boutique zen en ligne (www.himal-spirit.com) et Céline, venue la retrouver.

28 juin 2007

Holy Ganges

Envoûtante, fascinante, oppressante, déroutante, magique, mystique... Les adjectifs ne manquent pas pour qualifier Varanasi (anciennement Bénarès), ville sainte située au bord du Gange, le fleuve sacré où une myriade de pèlerins affluent pour se laver de leurs péchés. Tous les stéréotypes de l'Inde semblent converger ici : le chaos, la foule, les vaches sacrées, le harcèlement, le bruit, la spiritualité, la misère, la saleté. Une ville riche en paradoxes où la vie et la mort se côtoient à tous les coins de rue.

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Le jour n'est pas encore levé lorsque Beatrice, Alex, Tom et moi - mes acolytes du Sikkim - débarquons à Varanasi, presque 24 heures après avoir quitté la gare de NGP. "Varanasi is crazy.", nous a prévenus Tom, qui connaît déjà la ville. La traversée du hall de la gare est épique : nous slalomons entres les dizaines de personnes entassées à même le sol; nos délicates narines sont assaillies par des odeurs peu ragoûtantes d'urine et d'excréments. Les rickshaw-wallah, fidèles à eux-mêmes, nous prennent d'assaut. Welcome to Varanasi.

Dans le dédale des rues de la vieille ville, il est inévitable de poser le pied dans les ordures, une mare de pisse ou une bouse de vache. L'animal sacré bouche d'ailleurs souvent le passage dans ces rues pleines de charme mais si étroites. La foule est oppressante, les bruits, assourdissants, les odeurs, nauséabondes : les ordures, les déjections humaines ou les fumées des corps incinérés. Pas question d'acheter à manger dans la rue comme j'aime habituellement le faire : Varanasi est de loin la ville la plus sale que j'aie jamais vue. L'eau du Gange*, une des plus polluées au monde, est employée pour rincer les légumes servis dans votre assiette, nettoyer votre verre, laver vos pantalons, etc. De quoi tomber facilement malade, mais mes intestins se montreront relativement solides.

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Le Gange est bordé de ghats, ces marches où l'on vient faire sa lessive, méditer, se laver de ses péchés et, surtout, incinérer ses cadavres. Pour un Occidental, assister à une scène de crémation à Varanasi est une expérience des plus étranges. Pas de répit sur les ghats crématoires : chaque jour et 24h/24h, une dizaine de corps y sont incinérés, en public. Seuls les enfants, les sadhus (= ascètes), les femmes enceintes (considérés comme purs) et les lépreux (afin que les bactéries ne se dispersent pas...) ne sont pas brûlés mais jetés directement dans le Gange. Quel rituel est réservé aux autres ? Le cadavre, souvent enveloppé dans un linge et couvert de fleurs, est plongé dans le fleuve avant d'être déposé sur le bûcher. On allume de l'encens et on récite des mantras. Le corps mettra 4 à 6 heures à se consumer entièrement. Ses cendres seront ensuite jetées dans le Gange, ce qui lui permettra de se libérer du cycle des réincarnations. Les femmes proches du défunt ne sont pas autorisées sur les ghats crématoires : leur chagrin l'empêcherait de passer dans l'autre monde en toute sérénité.

C'est d'abord avec malaise, révulsion, puis fascination, que j'assiste à ma première crémation. Comment réagir face à un spectacle aussi surréaliste ? Des bûches par milliers, des corps qui se consument, d'autres qui attendent leur tour, un pied qui dépasse du brasier, des cendres qui s'envolent et se déposent sur vous... A force d'observer tous ces hommes affairés autour des bûchers, paradoxalement, ce haut lieu mortuaire m'apparaît débordant de vie. Et à deux pas de là, en effet, la vie continue : les hindous s'immergent dans le Gange afin de se purifier; les Indiennes étendant leur linge sur les ghats; sadhus, bateliers et autres vendeurs de haschish alpaguent le touriste; les vaches sacrées chargent les passants (il y a du vécu) et les enfants rient aux éclats...

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*Article intéressant trouvé sur Internet :
A certains endroits, les eaux du Gange sont tellement polluées qu'aucune vie aquatique n'y est possible. Pourtant depuis des années, des sommes astronomiques sont versées pour sauver le fleuve sacré.
Chaque jour, la capitale religieuse de l'Inde voit environ 60 000 Indiens - et quelques Occidentaux qui se veulent plus Indiens que les Indiens - se baigner dans les eaux sacrées du Gange. Savent-ils seulement que le long des 7 kilomètres qui longent Varanasi, une trentaine d'égoûts se déversent continuellement dans le fleuve ? Certains l'ignorent certes, mais ce n'est sûrement pas le cas de Mohant Veer Bhadra Mishra, ancien directeur du département de génie civil et professeur d'hydrolique à la Benaras Hindu University, et à la fois Mohant (" prêtre en chef ") du fameux temple Mochan Sankat.
Proclamé l'un des sept " héros de la planète " par Times magazine en 1999 pour son engagement en faveur de la rédemption du Gange par le biais de l'ONG qu'il a fondée en 1982, la Mochan Sankat Foundation (MSF), le saint homme sait de quoi il en ressort puisque son laboratoire analyse des échantillons du fleuve recueillis devant ses bureaux du Tulsi ghat sur une base quotidienne. Néanmoins, tous les jours après la prière, le professeur Mishra se baigne dans les eaux sacrées ; c'est que la foi l'emporte sur la science. " Pour les hindous, le Gange est une déesse ; elle est notre Mère à tous. Elle purifie, cure, absous. " explique-t-il.

Pourtant, le Gange est tellement pollué qu'à certains endroits, l'eau ne contient plus d'oxygène - rendant toute vie aquatique impossible - et le taux de bactéries coliformes, provenant des excréments humains, avoisine les 1.5 millions par 100 ml d'eau. Alors que pour la baignade, selon l'Organisation mondiale de la santé, ce chiffre ne devrait pas dépasser les 500 et pour être bue, l'eau ne devrait en contenir aucune. C'est précisément la bactérie coliforme qui est à l'origine des maladies liées à l'eau : choléra, hépatites, diarrhées, problèmes cutanés…

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12 juin 2007

Sab à la neige

17 février 2007

Le Lonely Planet a beau raconter un tas d'inepties, il lui arrive aussi d’écrire des choses sensées. Par exemple, lorsqu’il déconseille à ses petits lecteurs de visiter le Sikkim avant mars à cause du froid. Nous sommes seulement à quelques semaines du début de la bonne saison, alors on ne doit pas se les geler tant que ça, non ? Je débarque donc à Gangtok, capitale du Sikkim, après quatre heures de bus au cours desquelles je m'appliquerai à fliquer chaque porte ou fenêtre ouverte ; il fait un froid de canard, mais c’est apparemment plus fun de rouler en ayant la chair de poule.

A l’hôtel, je me fais plaisir et choisis une chambre double immense pour moi toute seule, celle-ci disposant d’une salle de bain avec douche chaude murale, s’il vous plaît. Ma dernière vraie douche chaude (= pas au baquet) remonte au mois de novembre, à Badami, alors c'est un vrai luxe ! Je déchante vite car l'eau est brûlante et il n'y a pas de pression. Et surtout, elle ne fonctionne que le premier jour. C’était trop beau pour être vrai.

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Mon igloo

Quelques lignes sur le froid s'imposent. Impossible de se réchauffer à un moment donné puisqu'à l'intérieur, il fait aussi froid que dehors, qu’il n’y a pas de chauffage et que les fenêtres ferment mal/sont cassées. Je me félicite d’avoir pris une chambre double : pour dormir, je bénéficie ainsi de deux couettes et deux couvertures en plus de la quasi-totalité de mes fringues, de mes gants et de mon duvet. Avec toutes ces épaisseurs, je ne sens plus mes jambes au réveil. Cette méthode permet de gagner du temps le matin : pas besoin de s’habiller puisqu’on l’est déjà (retirer ses vêtements est de toute façon inconcevable vu le froid et la température de l’eau). Jusqu'à la prochaine douche chaude, on se contente donc d’activités hygiéniques ne nécessitant pas de déshabillage telles que le brossage des dents, le nettoyage du visage ou le camouflage de ses cheveux sales sous un bandeau. Beurk !

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Gangtok n’a rien d’une ville indienne. Les rues sont propres, ça ne sent pas même pas la pisse et on est loin du chaos habituel. Ici, on ne se fait pas zieuter comme si on venait de Pluton. Pas non plus de harcèlement du type : «  Hello-Mam’-please-have-a-look-I-have-more-colours-inside (and-I'll-rip-you-off-you-stupid-tourist). » Par temps clair, on peut voir le Kangchenjunga, troisième plus haut sommet du monde qui culmine à 8 586 m, après l’Everest au Népal et le K2 au Pakistan. En l'occurence, c'est plutôt raté, la seule vue étant celle sur les nuages. A cause du temps, mes activités risquent d’être limitées, surtout qu’il est souvent obligatoire de faire partie d’un groupe pour se déplacer. En clair, si je ne trouve pas d’amis rapidement, je devrai peut-être lever le camp.

                                                           Kolkata___Gangtok_246    Non-vue sur Gangtok

Quelques heures plus tard, je fais justement connaissance avec Alex et Beatrice, couple franco-allemand, et Tom, un Anglais qui répondra vite aux sobriquets de Brad Pitt et Bouffe-Tout. Nous décidons de partir en excursion pendant quatre jours et trois nuits dans le Nord de la région. Nous louons une jeep et les services d’un guide, d’un chauffeur et d’un cuistot. Avant le départ, direction le centre-ville pour faire le plein de ce qui manque aux uns et aux autres : bonnets et gants de laine, caleçons longs ultra sexy. Et bien sûr, du rhum et du whisky pour se réchauffer (on ne part pas avec un Anglais pour rien).

Le lendemain matin, jour du départ, Nitsch - le cordon bleu de notre expédition - me réveille à 7 h pour réparer la douche*. "Hello mam', good sleep?" "Ah non, pas good sleep, parce que tu viens de me réveiller." "No problem, mam'" "Ben si, problem." Non mais ! Quelques heures plus tard, après m'être rendormie et avoir pris le petit dej', nous montons à bord de la jeep avec notre équipe de choc : Nitsch, le cuistot-réveil-matin-plombier présenté plus haut, Dorgé, pseudo-guide, et le chauffeur, que j'appelerai Ganesh car j'ai oublié son prénom. Ils sont plus jeunes que nous et font leurs malins pour épater la galerie.

Jour 1 - Gangtok - Lachen

Après avoir traversé de jolis paysages toute la journée - j'ai même enfin aperçu le Kangchenjunga, impressionnant du haut de ses 8 586 m - nous arrivons à Lachen, village tibétain couvert sous la neige. Nos chambres sont de véritables igloos et nous allons donc nous réchauffer près du feu dans la cuisine. Dorgé nous fait boire de la tumba, bière typique de la région, pendant que nous observons Nitsch préparer le poulet, non sans inquiétude : la volaille se fait découper sur un tronc d'arbre avec un couteau à la propreté douteuse, que Nitsch pose à même le sol, là où tout le monde marche. Pour couronner le tout, le matou de la maison vient se servir. Miam, le poulet (spéciale dédicace Matt) ! Au final, le chicken chowmein (nouilles au poulet) qui descendra dans nos fragiles estomacs d'Occidentaux sera une pure merveille. L'absence d'éléctricité crée une ambiance vraiment chaleureuse et l'"ameublement" nous renvoie un siècle en arrière. Nous regagnons nos igloos respectifs à l'heure des poules, après une dernière bière/thé autour du feu.

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Jour 2 - Lachen - Lachung

A 7 h, c'est l'heure du traditionnel bed tea, apporté par Dorgé. Moi qui avais horreur du thé, j'adore ça depuis peu : on m'en sert tellement souvent que je m'y suis habituée. Et je vais en boire des litres au cours de cette expédition : chaque jour, un thé au lever, un autre 15 minutes plus tard pour le petit déj', un autre en milieu de matinée, un avant le déjeuner, un après le déjeuner, un dans l'après-midi, un avant le dîner, un après le dîner...

Nous partons pour un village, mais la jeep a bien du mal à avancer à cause de la neige. Gros point noir niveau sécurité : les pneus ne sont pas du tout adaptés et nous roulons sans chaînes... Nous allons aussi loin que possible (= pas loin), jusqu'à ce que la route soit complètement bloquée puis nous commençons à marcher. Nous prenons un raccourci qui grimpe dur. Nous sommes à plus de 4 000 m et j'éprouve de très grosses difficultés à respirer**. Les autres, déjà en haut, me demandent si ça va. Lorsque je réponds que je ne peux pas respirer, Dorgé éclate de rire et se moque de moi. Furax, j'atteins le sommet et lui passe un savon. Il s'excuse platement. Comment un guide peut-il ignorer les problèmes causés par l'altitude, alors que des personnes en meurent chaque année ?

Je me repose quelques minutes jusqu'à ce que j'aille mieux, puis nous reprenons notre marche. Cette fois, c'est sûr : notre équipe méconnaît les dangers de la montagne ; en effet, le chemin que nous empruntons présente des risques d'avalanches !

Quelques heures plus tard, nous regagnons la jeep entiers et embarquons deux jeunes filles qui vont soi-disant à l'école de Lachung, notre destination. En plus des deux filles, nous "ramassons" deux autres types. La jeep PRIVEE que nous avons louée pour 7 personnes en transporte en fait 11 et se transforme en bus public ! Autrement dit, ils se mettent de l'argent dans les poches. Nous apprendrons plus tard que les deux filles ne vont pas du tout à l'école à Lachung. Pour couronner le tout, des problèmes mécaniques surviennent et la jeep fait de drôles de bruits. Consolation de la journée : l'électricité fonctionne et nous pouvons enfin prendre une douche chaude - au baquet.

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Jour 3 - Lachung - Yumthang Valley - Lachung

Quelle surprise ! L'équipe n'a pas réparé la jeep ! Depuis le début, tout va de travers... ce qui ne nous empêche pas de nous éclater. Au programme d'aujourd'hui, la Yumthang valley, tout au nord. Enfin, officiellement, parce qu'on s'arrêtera encore au bout de dix minutes pour cause de route bloquée par la neige... Décidément... Comme d'hab, Dorgé n'a pas de plan B et ne sait pas quoi faire. La neige n'est pas fraîche et assez haute, donc elle n'est pas tombée la veille. Si Dorgé avait été un peu plus professionnel, il aurait pu savoir à l'avance qu'on ne pouvait pas passer...  Il y a à nouveau de l'eau dans le gaz entre Dorgé et nous. Les options sont limitées, donc nous allons nous balader dans la neige.

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Quelques heures plus tard, de retour à Lachung frustrés d'avoir raté la Yumthang valley mais tout de même ravis par la balade, nous partons "en ville" accompagnés d'ados ne parlant pas anglais et se payant visiblement nos têtes. Dorgé était censé nous conduire à un festival, mais il a préféré déléguer à ces jeunes... Encore une fois, il ne remplit pas du tout son rôle de guide (chaque fois que nous lui posons une question, il nous répond : "J'te l'dirai plus tard")...

Encore pas de bol : quand nous arrivons, le festival est terminé. Il n'y a rien à faire, donc nous rentrons jouer aux cartes en attendant le dîner. Comme c'est la dernière soirée et que Dorgé souhaite finir en beauté, nous allons tous boire un coup dans le "pub" local. Sur le chemin du retour, à une heure tardive, nous admirons le spectacle offert par le ciel. Contempler les étoiles dans l'Himalaya, ça ne s'oublie pas...

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Jour 4 - Lachung - Gangtok

Ce matin-là, le bed tea est servi plus tard que d'habitude. Dorgé a apparemment abusé de la tumba et souffre d'un mal aux cheveux épouvantable. Avant de rentrer à Gangtok, nous passons par le monastère du village, qui est... fermé. Bilan de ces 4 jours : trip très sympa, même si nous n'avons rien vu de ce qui était prévu. Ca nous apprendra à aller au Sikkim pendant la mauvaise saison...

Nous reprenons la route et arrivons à Gangtok le soir. Pour nous qui n'avons croisé aucun Blanc et qui avons eu la montagne pour nous seuls, c'est un choc de retrouver la civilisation. S'ensuit une discussion houleuse de près d'1 heure avec la manager de l'agence, à qui nous faisons une liste non-exhaustive de tous les points négatifs du voyage. Nous exigeons un dédomagement puisque nous n'avons pas fait 1/10e de ce qui était prévu et que le service a laissé à désirer. De mauvaise foi, elle finira au bord de la crise de nerf et laissera son mari gérer l'affaire. Plus conciliant, il nous laisse ne pas payer les 500 Rs que nous leur devions.

Tom nous apprendra après la dispute que Dorgé s'est payé des prostituées avec nos roupies au lieu de régler les lodges. Plutôt bien vu de sa part de ne pas avoir mis ça sur le tapis en pleine engueulade... A l'heure où j'écris ces lignes, j'ignore si Dorgé est toujours guide ou s'il s'est reconverti - il faisait peine à voir pendant la discussion avec la manager...

*Il m'est arrivé plusieurs fois d'être réveillée à une heure indécente par le personnel croyant bien faire en m'apportant un seau d'eau chaude, alors que je n'avais rien demandé.

** Au-dessus de 3 000 m, il est primordial de grimper par tranches de 600 m max par jour afin d'éviter le mal aigu des montagnes. Cf le post sur le tour des Annapurnas qui sera publié dans quelques semaines.

12 mai 2007

Bengale

La cite de la joie

Apres plusieurs jours peu productifs a Puri, je prends le train de nuit pour Kolkata (anciennement Calcutta), troisieme plus grande ville du pays et capitale de l'Etat du Bengale. Je n'ai pas pu avoir la couchette superieure, et au petit matin, je suis reveille de la facon la plus agreable qui soit : deux Indiens assis sur mes petites gambettes. Si vous avez deja eu l'immense privilege de me voir au saut du lit, vous pouvez imaginer le regard sympathique que je leur ai reserve.

Apres m'etre installee dans un hotel miteux, je pars explorer la ville, en quete d'une premiere impression. Je decouvre avec surprise une ville agreable, loin du tableau depeint dans "La Cite de la joie". Quel plaisir de se balader dans une ville indienne dotee d'une vraie architecture et de beaux monuments ! Mais Kolkata est aussi pleine de contrastes : les mendiants cotoient les jeunes cadres dynamiques, le metro, les hand-pulled rickshaws - tires par la seule force des bras d'un homme.

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Je passe la deuxieme journee en compagnie d'un Indien dont j'ai oublie le prenom et que je nommerai donc Chapati. Il me fait decouvrir sa ville : le Victoria Memorial, superbe batisse dont le musee retrace l'histoire du Bengale, la cathedrale St Paul, decevante, et le temple de Kali, ou on tentera de m'extorquer des sous apres une visite foutage de gueule (= eclair et ininteressante).

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Je passe les journees suivantes a flaner au hasard des rues, dans les librairies (les plus grands ecrivains et poetes indiens sont issus du Bengale), les musees, les salles de cinema. Je me sens a l'aise dans cette ville captivante, peut-etre parce que l'heritage laisse par le Raj britannique me rappelle les metropoles europeennes et me permet de retrouver mes reperes, perdus depuis mon depart.

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Malheureusement, quelques jours plus tard, je fuirai a toutes jambes suite a ma rencontre avec un Indien d'une quarantaine d'annees pretendant "voir" mon aura, m'ecrivant des poemes ambigus, me racontant sa vie sexuelle et voulant m'emmener faire de la meditation. Ben voyons ! Je lui pose un gros lapin et m'enfuis vers Murshidabad, petite ville paisible a quatre heures de bus au nord de Kolkata.

Murshidabad

Kolkata a beau etre "facile" et passionnante, elle n'en reste pas moins une ville indienne avec son lot de pollution, sa circulation infernale, ses bruits de klaxon incessants, sa misere et ses bidonvilles. Quelle bouffee d'oxygene de se retrouver a Murshidabad ! La ville est dotee de nombreuses ruines et de sites interessants, que je n'aurai pas le plaisir de visiter : je suis de toute evidence la seule Blanche des environs et deviens tres vite l'attraction du village. On m'aborde toutes les deux minutes, avec une gentillesse inouie. On me bombarde de questions avec les moyens du bord - peu de personnes parlent anglais et moi, encore moins bengali - on m'offre sans cesse du chai. A l'hotel, je suis traitee comme une reine par le proprietaire. Bref, je suis accueillie a bras ouverts par tous.

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Le Bengale regorge de lieux interessants, mais il me tarde d'aller au Nepal. Je choisis de faire l'impasse sur plusieurs endroits et de monter a Siliguri, dans le nord de l'Etat, plaque tournante pour Darjeeling et le Sikkim, deux regions que je ne veux pas manquer. Sachant que je compte entrer au Nepal debut mars, je realise que je risque de manquer de temps pour visiter les deux regions a fond. Laquelle sacrifier ? Je prendrai ma decision une fois a Siliguri. Je decouvre qu'il y a une gare a Murshidabad ou je peux reserver un billet de train pour NGP, ville voisine de Siliguri. Du moins, tenter, parce que j'aimerais partir le soir-meme. Quand on veut reserver un billet de train, en Inde, il vaut mieux s'y prendre au moins la veille. Vous devez vous douter que ca me pose parfois probleme, moi qui ne sais jamais ce que je fais le lendemain. Bref, l'employe m'apprend que je suis 13e sur liste d'attente et me demande de repasser quelques heures plus tard pour savoir si je peux embarquer ou non a bord du train.

Sur le chemin du retour, des ecoliers me voient passer devant leur ecole : c'est l'emeute. Dix, vingt, trente gamins sortent de la cour et m'assaillent, le sourire aux levres, me reclamant des photos. Je reconnais quelques bouilles photographiees la veille. L'instit sort et me demande d'attendre la fin de la priere, puis m'invite a entrer. On m'apporte une chaise et j'assiste a la scene avec amusement : les enfants sont tous en rang, dans leurs uniformes, et chantent l'hymne national - ouf, on ne me fera pas chanter La Marseilleise - avant d'entamer ce qui ressemble a des prieres (je vous dis, je parle pas bengali...). Je me fais toute petite pour ne pas deranger, mais les 84 gosses sont deconcentres par ma presence et me lancent sans cesse des regards complices en retenant des rires. Je suis ensuite nommee photographe officielle de l'ecole et prends plusieurs cliches, que je leur enverrai quelques semaines plus tard. Je quitte l'ecole ravie par l'experience, apres avoir discute avec les instist autour d'un chai et de biscuits.

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C'est l'heure de retourner a la gare. C'est mon jour de chance : l'employe m'apprend que la place est disponible. En toute logique, je m'attends a ce qu'il fasse la reservation. Il reste sur sa chaise, les bras croises, le regard dans le vide. Je lui demande donc de reserver le billet. Yes, yes, me repond-il. Ben, je voudrais l'acheter maintenant. Yes, yes, now, possible. Il ne bouge pas le petit doigt. Tu peux faire la reservation maintenant ? Yes, yes, je peux la faire maintenant. Toujours rien. Je reviens a la charge. Soudain, une lueur traverse son regard et il se jette sur son ordi. Ouf, il a compris.

Je rentre a l'hotel, fais une sieste, fais mon sac a la bourre. Je finis par monter a bord d'une jeep en direction de la ville voisine ou mon train m'attend, ou ne m'attendra pas. La jeep s'arrete prendre des passagers un peu trop souvent a mon gout et je commence a me dire que je vais rater mon train, d'autant plus que je dois ensuite prendre un rickshaw jusqu'a la gare. Les passagers me rassurent : mon train part dans 30 minutes, il reste 15 minutes de jeep et au moins autant de rickshaw, donc, pas de quoi m'affoler. Ca me reconforte de voir que la logique indienne est pire que la mienne.

Je descends de la jeep, m'agite dans tous les sens a la recherche d'un rickshaw. Pas de bol : il n'y a que des cycle-rickshaws, qui vont a peu pres aussi vite qu'un escargot. Quand on n'a pas besoin de rickshaw, il y en a 15 qui tournent autour de vous tels des rapaces autour de leurs proies; et quand on a besoin d'eux, personne n'est la. Je finis par degoter un rickshaw a moteur et m'engouffre dedans sans prendre la peine de retirer Regatta de mon dos, en m'explosant le tibia au passage. Le prix de la course est bien trop eleve, mais pour une fois, je ne chipote pas. Je prie le chauffeur de faire au plus vite. Malheureusement, sur le pont, un bouchon nous empeche d'aller plus loin. Mon chauffeur veut tellement bien faire qu'il cree un nouveau bouchon et qu'il doit pousser son vehicule manuellement pour laisser passer les camions. Je ne porte plus ma montre depuis belle lurette et n'ai aucune idee de l'heure, mais ce dont je suis sure, c'est que je vais rater mon train. La route se debloque enfin. Je fais accelerer mon chauffeur et le fais passer la ou il n'est pas censer rouler, mais comme on est en Inde, quelle importance ? Nous voila devant la gare. Il est 19 h 14, l'heure precise a laquelle mon train doit partir. Je cours sur le quai. Rien. Et la, j'apprends que mon train a 45 minutes de retard. C'est pas avoir le cul borde de nouilles, ca ?

Darjeeling ou Sikkim ?

A 3 h du matin, je suis secouee par ma voisine de compartiment : nous arrivons a NGP. Il faut qu'on m'explique comment un train parti en retard puisse arriver en avance. Pas tres motivee pour chercher un hotel a une heure pareille, je rejoins la salle d'attente reservee aux femmes, remplie d'Indiennes installees a meme le sol en pleine pyjama party. Une dame pipi passionnee par son travail guette les allees-venues aux toilettes des unes et des autres, en prenant soin de nous racketter pour un simple lavage des mains ou une retouche beaute. Je suis morte de fatigue et de froid, mais finis par m'endormir sur mon siege dans une position improbable. Ma voisine, originaire de Darjeeling, me proposera de me deposer a Siliguri quand son mari sera arrive. Il n'arrivera jamais et nous partagerons un rickshaw. Une fois a l'hotel, je m'ecroule sur mon lit et m'enfonce dans mon duvet, epuisee et gelee.

Quelques heures plus tard, alors que je ne sais toujours pas si je vais a Darjeeling, au Sikkim ou les deux, je tombe sur Manu et Justine, qui reviennent... du Sikkim et de Darjeeling. Le temps est pourri dans les deux endroits - froid glacial et neige - mais ils me conseillent le Sikkim. Je suis leur conseil et file faire ma demande de permis : le Sikkim est une region sensible a cause de ses frontieres avec la Chine, meme s'il n'y a aucun conflit. Contre toute attente, l'obtention de mon permis se fait en deux temps trois mouvements. Le personnel me donne un avant-gout de ce qui m'attend au Sikkim : des gens souriants, chaleureux, pas prise de tete. Nous nous remercions mutuellement de notre bonne humeur. Je sors du bureau toute guillerette : demain, je pars dans l'Himalaya !

31 mars 2007

Puri

Apres 21 heures de train qui passeront etonnament vite, je debarque a Bhubaneswar, capitale de l'Orissa, dans la baie du Bengale. A 4 h 30 du matin, il est forcement difficile de trouver un hotel et je decide de prendre un bus pour Puri. Je fais alors connaissance avec Justine et Manu, un couple de Francais voyageant pendant un an. Apres avoir degote une guesthouse super sympa a deux pas de la plage, nous allons prendre un petit dej qui s'eternisera pendant plusieurs heures et annoncera la couleur de notre sejour a Puri : mis a part une demi-journee passee a visiter le majestueux temple du soleil de Konark, nous passerons l'essentiel de notre temps dans le resto de la guesthouse, a echanger nos points de vue sur l'Inde et les situations delicates auxquelles nous sommes confrontes au quotidien, telles que la misere et les arnaques en tous genres.

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Un apres-midi, nous assisterons a une scene qui illustrera parfaitement nos discussions et qui restera gravee dans nos esprits. Dans la rue, un homme vient de faire un malaise. Je crois n'avoir jamais vu personne dans un tel etat. Nous courons a la boutique la plus proche lui acheter une bouteille d'eau et des bananes. A ses cotes, une Indienne qui doit etre sa femme est en larmes. Vu son etat, pas difficile de comprendre qu'il est en train de mourir. Un chauffeur de rickshaw le prend en charge mais n'a pas l'air de savoir quoi faire. Les badauds s'attroupent autour de lui, peu choques, les hindous n'ayant pas le meme rapport a la mort que nous. L'homme est visiblement dans un etat de souffrance intense et la fin est proche. J'ai beau savoir que ca ne le sauvera pas, je cours lui chercher a nouveau de l'eau et le fais boire a la bouteille. Il tete comme un bebe en me regardant avec detresse. Un Indien de caste plus elevee nous explique avec la plus grande indifference que cet homme est deja alle a l'hopital le matin-meme mais qu'ils n'ont rien pu faire pour lui car il n'a pas de quoi payer les soins; et s'il est malade, c'est a cause de l'alcool. Sous-entendu, il n'a que ce qu'il merite. Lorsque le rickshaw passe une derniere fois devant nous, l'homme nous tend la main en nous lancant un regard rempli de desespoir. Desempares, nous le regardons passer sans rien faire, sans rien dire, conscients qu'il ne lui reste que tres peu de temps a vivre.

Quelques heures plus tard, avant de me mettre au lit, je trouve dans ma poche le bouchon de la bouteille avec laquelle j'ai fait boire cet homme. Je revois alors son visage plein de souffrance, son regard desespere, sa main tendue vers nous appelant a l'aide, et nous qui ne bougeons pas le petit doigt. Avec le recul, les questions commencent a se bousculer dans ma tete, sans trouver de reponses. Pourquoi, nous Occidentaux qui en avions les moyens, ne l'avons-nous pas emmene a l'hopital ? Pourquoi ne lui avons-nous pas paye ses frais ? Par lachete ? Par egoisme ? Par peur ? Cette nuit-la sera faite de remises en questions sur ma facon de voyager qui m'empecheront de trouver le sommeil. Difficile de s'endormir en toute quietude quand on a l'impression d'avoir laisse crever un homme.

16 mars 2007

Au pays des temples

Vendredi 12 janvier

Sitot passee la frontiere du Tamil Nadu, le contraste avec l'Etat voisin du Kerala est saisissant : la vegetation luxuriante laisse place a des terres plus arides et les belles demeures, a des bicoques de fortune. Si le Tamil Nadu est l'Etat le plus pauvre du sud du pays, c'est aussi celui qui comporte le plus de temples hindous. A Madurai, ma premiere etape, je retrouve l'Inde que je deteste : polluee, surpeuplee, sale et bruyante. Apres ces 15 jours passes avec les filles dans le si facile Kerala, je dois me replonger dans le bouillonnant bain indien. Je retombe facilement sur mes pattes et reprends vite mes petites habitudes de backpackeuse solo. Seul interet de Madurai ? Son impressionnant temple, Sri Meenakshi, dont les quatre portails multicolores culminent a environ 50 metres. Il s'agit de l'un des temples hindous les plus importants du pays. Si l'exterieur du temple me laisse perplexe - impressionnant par sa taille, mais un peu trop "bariole" a mon gout - deambuler a l'interieur est fascinant. Le temple grouille d'activite et c'est toujours interessant d'observer les pelerins en pleine puja (= offrandes).

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Je fuis vite l'opressante Madurai pour Kodai, station perchee dans les montagnes, a quelques heures de bus. Un bol d'air frais ! Et meme plus que frais, puisque je ressors vite ma Tenue glamour anti-froid, etrennee quelques semaines plus tot a Munnar. Mais Munnar, c'etait les tropiques a cote de Kodai. Le soir, je me mets au regime soupe-momos et hop, au lit, au chaud dans mon duvet, devant la tele. En Inde, a la montagne, ils prevoient des ouvertures pour etre surs de laisser passer le froid et le bruit. Le temps fort de la journee ? La douche, bien sur. Je prends mon courage a deux mains pour sortir de mon duvet, cours vers la salle de bains en claquant des dents, fais couler l'eau et retourne me mettre au chaud dans mon lit quelques minutes. Pas tres ecolo, je sais. Mais l'eau chaude met des heures a arriver et pas moyen de se laver a l'eau froide vu la temperature. Et je ne vous parle meme pas du non-sechage de mon linge. Cette fois, c'est jure : je n'attendrai plus jamais la derniere minute pour laver mes sous-vetements.

Venons-en aux choses serieuses. Pendant la bonne saison (mars-avril), Kodai est un endroit populaire pour faire des treks en montagne. Le ciel etant couvert et les sommets, caches, je decide de ne pas aller trekker et de me contenter de balades de quelques heures dans les environs. Je fais de bonnes marches revigorantes jusqu'a des points de non-vue, celle-ci etant justement cachee par les nuages mais aussi par les touristes indiens qui arrivent en masse. Chaque fois que j'essaie de me poser pour bouquiner, c'est peine perdue : toutes les 5 minutes, je dois jouer les stars et me preter au jeu des photos. Les Indiens sont fiers de poser en famille avec une Blanche. Si la balade autour du lac s'avere decevante - celui-ci est entoure d'un grillage et d'une route goudronnee - le village est quant a lui tres agreable et s'avere une excellente preparation physique pour le Nepal : ca grimpe dur ! Je suis accueillie par des sourires et les "hello" chaleureux pleuvent de partout.

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Un soir, dans un cyber-cafe, je rencontre un Hollandais et un Israelien qui m'apprenent que l'Office de tourisme organise une journee pour permettre aux touristes d'assister au Pongal, festival qui celebre la fin des recoltes. Tout est pris en charge, du transport au repas. Le lendemain, j'embarque a bord d'un minibus en compagnie d'une dizaine d'autres touristes. Le festival a lieu a Theny, a quelques heures de Kodai. A peine le pied pose a terre, je prends conscience du traquenard dans lequel je viens de tomber : tandis que nous recevons chacun notre tour un collier de fleurs et une tika (le point rouge sur le front), les photographes et les cameramans nous assaillent. Agacee, je prends soin de tirer une tronche d'enterrement afin de saboter les photos. Tout est savamment orchestre : Mets-toi la; toi, va a gauche; toi, a droite; Fais-ci, tiens-ca. Chacun notre tour, nous allons tourner le pongal (sorte de porridge) pendant que les photographes nous mitraillent. Nous allons prendre place sur nos sieges VIP et le spectacle commence. Un des organisateurs me demande d'aller danser sur scene avec un pot de fleurs sur la tete pour faire des photos. D'autres touristes s'en donneront a coeur joie a ma place. Une seule envie : prendre mes jambes a mon cou, mais nous sommes a 3 heures de bus de Kodai. Pendant le spectacle, qui met en scene jongleurs, danseurs, fakirs et cracheurs de feu, je commence a me detendre, tout de meme agacee par cette organisation ridicule. Lors du trajet de retour, les autres touristes - notamment ceux qui sont montes sur scene - ne cacheront pas leur enthousiasme. Le lendemain, un couple d'Anglais ayant participe au "festival" m'apprendra que nous faisons l'objet d'un article en page 3 du journal. D'apres l'article, "des touristes se trouvant la ont tenu a prendre part au festival et se sont portes volontaires pour preparer le pongal."... C'est jure, la prochaine fois qu'on me proposera un plan gratuit en Inde, je m'abstiendrai... 

Apres 2 jours a Trichy, dont le splendide temple est le plus grand d'Inde du Sud, je pars pour Pondichery, ancien comptoir francais. Je m'installe et fonce vite en quete d'une boulangerie ou d'un resto francais. J'erre un moment sans succes, a deux doigts de commettre un meurtre. Eh oui, 3 mois sans pain et sans fromage, ca rend agressif. Je finis par degoter une demi-baguette que j'avale tel un rapace se jetant sur sa proie, meme si elle  n'est pas a la hauteur de mes esperances. Mes differentes experiences culinaires a Pondy seront dans l'ensemble decevantes - la palme d'or revenant au Tsatsanga, ou l'on me servira du pain moisi, puis rassis avec un poil dedans - sauf un soir, au Toucan, ou j'exploserai mon budget en commandant une salade perigourdine au foie gras et une part de gateau au chocolat divin. Miam.

Je retrouve a nouveau Ellen et Andy, mes acolytes de voyage anglais. Comme chaque fois que nous nous retrouvons, nous echangeons nos dernieres anecdotes de voyage et Ellen et moi faisons notre eternel concours de poils aux jambes. Malgre le quartier francais, dont les rues larges et propres portent des noms francais, et la forte presence d'expats, je ne me sens pas en France pour autant. Ma journee la plus interessante sera celle passee a Auroville, a quelques kilometres de Pondy. Auroville est une communaute internationale fondee par Mirra Alfassa, dite "La Mere", en 1968. Le principe ? "Etre le lieu d'une vie communautaire universelle, ou hommes et femmes apprendraient a vivre en paix, dans une parfaite harmonie, au-dela de toutes croyances, opinions politiques et nationalites." J'ai la chance de beneficier d'une visite personnalisee grace a Jacques, l'oncle de Karine, ma coloc no 97, qui vit a Auroville depuis quelques mois. Nous partons a moto dans la foret a la decouvert de la communaute (Auroville s'etend sur une vingtaine de kilometres) et Jacques m'en explique le fonctionnement. Rien de mieux pour decouvrir Auroville, accessible aux touristes, mais de facon tres superficielle.

Je quitte Pondy pour Mamallapuram, un peu plus au Nord, toujours sur la cote. Mamallapuram est en quelque sorte a mi-chemin entre Goa et Hampi, dotee d'une plage et de temples classes au Patrimoine de l'Humanite. Ce qui fait office de plage est en fait une poubelle a ciel ouvert. Si on finira par trouver un perimetre de sable un peu moins cracra, on s'abstiendra d'aller nager : barboter au milieu de poissons morts dans une mare de petrole, ca vous tente ? Finalement, la terrasse d'Ellen et Andy fera tres bien l'affaire pour faire bronzette. Entre deux seances, je me cultive et visite les temples repartis sur trois sites, meme si le trop grand nombre de touristes gache la beaute des lieux. Impossible de prendre une photo sans se retrouver avec la quasi-totalite de la population indienne dessus.

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Apres Mamallapuram, direction Chennai (anciennement Madras), quatrieme plus grande ville du pays et capitale du Tamil Nadu. Chennai fait partie des villes indiennes sans grand interet si ce n'est pour les transports. Sa plage, Marina Beach, la 2e plus longue du monde, fait concurrence a celle de Mamallapuram en termes de proprete. Censee regler un tas de petites choses - aller chez Air India, trouver un couturier, imprimer mes photos, acheter le Lonely sur le Nepal etc - je remettrai vite tout ca a plus tard, la ville etant tres etendue et les chauffeurs de rickshaw, des arnaqueurs professionels sans scrupules. Ellen, Andy et moi allons visiter les studios de cinema - les 2e plus grands du pays apres Bollywood - mais malheureusement, il n'y a pas beaucoup de tournages ce jour-la. Nous qui revions de jouer les extras dans un film tamoul, notre carriere cinematographique s'acheve avant meme d'avoir commence.

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Le 1er fevrier, apres trois mois passes en Inde du Sud, je monte a bord du train qui me conduira a Bhubaneswar, dans l'Orissa, 21 heures plus tard.

10 février 2007

Droles de dames

[Paragraphes en italique : Gaelle; commentaires en gras : Gege]

Arnaques, piquouses et cocotiers

Vendredi 29 decembre

Il est 7 h, mon reveil sonne. Je saute du lit sans probleme, meme si l'excitation m'a empechee de dormir. Eh oui, c'est le grand jour : je vais chercher Gaelle et Geraldine a Trivandrum, a 1 heure en train de Varkala. Elles n'ont pas eu mon dernier mail et ignorent encore qu'elles devront rentrer a Varkala sans moi, comme des grandes. J'ai en effet decide d'aller voir un medecin occidental chez Kim's hospital, le meilleur du coin, pour cause d'infection urinaire multi-recidiviste dont j'aimerais me debarrasser une bonne fois pour toutes.

Je suis a Varkala depuis quelques jours et mes journees se resument a lezarder sur la plage, faire du shopping (il me manque la moitie de mes cadeaux de Noel plus le cadeau d'anniv' pour Gaelle), prendre des verres et diner avec mes cops australiennes. Et la nuit, il m'arrive de chasser les grosses betes a huit pattes qui peuplent ma chambre, mais vous n'aurez qu'a relire mes mails du Guatemala puisque c'est grosso-modo la meme histoire.

A la gare, je reconnais le sac a dos bleu Decathlon que j'ai prete a Gaelle. Je fonce vers les filles en courant. Apres des retrouvailles surrealistes (bizarre de retrouver ses copines pas vues depuis deux mois !), nous allons prendre le petit dej' dans le boui-boui de la gare (1), qui sera tres vite envahi par nos jacasseries. Je leur annonce que je vais a l'hopital et qu'on se retrouvera plus tard a l'hotel, mais comme ce sont de vraies cops, elles insistent pour m'accompagner. Elles n'ont pas encore idee de la journee qui les attend (2).

Retrouvailles émouvantes... et rageantes ! Ben oui, notre routarde préférée est toute bronzée, en jupe-débardeur, tandis que nous, on est blanches comme des... Européennes-en-janvier-sortant-de-12-heures-d'avion ! Le choc culturel n'est en tout cas pas au rendez-vous, soit parce que le Kerala ne nous change pas d'autres pays qu'on a déjà visités, soit parce que la fatigue nous voile les yeux ! Un peu des deux sans doute... Toutes à notre joie de retrouver notre copine, on refuse de la lâcher dans la nature (comme si elle ne se débrouillait pas toute seule depuis deux mois...) et on découvre avec "joie" l'hôpital indien. On n'a pas encore idée de la journée qui nous attend...

Nous prenons un rickshaw et fixons le prix de la course a 100 Rs. Pas de bol, une manif oblige notre conducteur a faire un certain nombre de detours et il augmente le tarif de 20 Rs. Arrivees devant l'hopital, je tends 150 Rs au chauffeur, qui fait comme par hasard passer la course a 150 Rs et refuse de me rendre la monnaie. A peine arrivees, les filles vivent leur premiere arnaque. Grosse prise de tete avec le chauffeur, qui finit par me rendre la quasi-totalite de ce qu'il me doit (3).

Je me dis en voyant la réaction de Sabrina, qu'en plus du chocolat et du fromage, on aurait dû lui amener un peu de Prozac. Les crises de nerf et la bouffe épicée vont finir par lui trouer l'estomac. Mais face à tant de mauvaise foi, il n'y a que la fatigue qui nous empêche de réagir comme elle...

A la reception, je demande a consulter un docteur occidental. La salle d'attente est pleine a craquer, mais un monsieur me conduit immediatement au service de medecine internationale et je n'attends pas, contrairement aux Indiens. Je suis prise en charge par deux adorables indiennes, Mlle Super-Gentille et Mlle Super-Adorable. Elle rentrent mes donnees dans l'ordinateur et me remettent ma carte de "membre" de l'hopital. Trop classe, ca me fera un super souvenir. On me conduit ensuite dans un bureau ou m'attendent deux medecins indiens. En realite, il n'y a pas de medecins occidentaux ici. Mais l'hopital est propre et moderne et leur bureau n'est pas dans la rue, contrairement au medecin ayurvedique que j'ai consulte a Goa.

Raconter ses problemes de vessie a des medecins indiens qui ont un accent a couper au couteau, ca fait partie des experiences a vivre une fois dans sa vie. Ils m'examinent rapidement et me remettent une grille comportant differents examens. La case "urine test" est cochee. Jusque la, tout va bien. Mais la case "blood count" l'est aussi. J'ai un flash et mes cours de trad medicale du DESS me reviennent soudainement en memoire. En francais, "numeration des leucocytes". En francais-francais, "prise de sang". Je deviens blanche, puis verte, puis violette; mes mains se mettent a trembler. J'ai la phobie des prises de sang / vaccins / piqures / perfusions. Une prise de sang en Inde, c'est mon pire cauchemar (a egalite avec une operation de l'appendicite ou des dents de sagesse au Nepal). M'dame la doctoresse, je vais pas si mal, vous savez. L'analyse d'urine devrait suffire, non ? La madame est categorique et moi, je panique. Une assistante vient me chercher et m'accompagne au labo. Au passage, je cours chercher Gaelle pour qu'elle me soutienne psychologiquement. Je pars seule en Inde, mais j'ai peur d'une petite prise de sang de rien du tout.

Je fais d'abord pipi dans deux flacons, puis je vais attendre mon tour a l'abattoir. Mlle Prise-de-sang m'attrape le bras droit. Gaelle, au secours, t'as pas des blagues ? Pourquoi elle trouve pas ma veine ? C'est parce que je suis trop bronzee ? Pourquoi elle me tapote le bras comme ca ? Tu crois que l'aiguille est propre ? Mlle Prise-de-sang, peut-etre que ca marchera mieux sur le bras gauche ? Pour me changer les idees, Gaelle me raconte les derniers potins sur mes collegues de TTT. J'ecarquille grand les yeux en l'ecoutant jouer les commeres pendant que l'infirmiere m'enfonce enfin l'aiguille dans la veine. Une fois la torture passee (meme pas mal), Gaelle m'avoue qu'elle a tout invente. Dommage, c'etait croustillant. Je retourne dans la salle d'attente.

1 heure plus tard, Mlle Prise-de-sang vient me chercher, mon dossier entre les mains. Elle me fait traverser de longs couloirs ainsi qu'une salle remplie de lits et de malades. A ma grande surprise, elle me fait allonger sur un des lits et me demande d'attendre ici. Tiens, drole de salle d'attente. J'attends, j'attends, et aucun signe du medecin. Le temps passe et toujours personne. Je commence serieusement a m'inquieter. Je me leve, vais trouver une infirmiere et lui demande ce que je fous ici. Elle parcourt mon dossier, parle en malayalam - ma langue indienne preferee - a ses collegues. Les regards en coin qu'elles s'echangent ne presagent rien de bon. Elles me disent que je ne dois pas rester seule et qu'elles vont faire monter les filles, avant de me renvoyer au lit sans explications. Gros coup de flippe. Je vois deja G. & G. m'apporter Regatta et passer leurs vacances sans moi, pendant que je serai clouee sur ce foutu lit. Les draps ont l'air propres, mais si possible, je prefererai dormir dans mon sac a viande. Et j'espere que je pourrai au moins avoir une chambre individuelle. Et si j'etais rapatriee ? 1 heure sur un lit d'hopital a Trivandrum, c'est plus flippant que 3 jours a Bombay.

L'horloge tourne, mais moi, je n'ai pas bouge. Ils m'ont oubliee ou bien ils comptent m'operer ? Je retourne les trouver et leur demande plus fermement ce que j'ai. Cette fois, elles peuvent se brosser pour que je retourne me coucher. Mais toujours rien. Une dame vient me chercher et me demande si je peux descendre l'escalier ou si je prefere l'ascenseur. Mais je suis pas malade ! Elle me demande ce que j'ai. Justement, c'est la question que je me pose. Elle fronce les sourcils. You don't know what you have ? Ben, non, on veut rien me dire. Au passage, je passe faire signe aux filles, maintenant en etat de decomposition avancee. Elles m'apprennent que Mlle Super-Adorable est venue me chercher. Je seme la dame et cours dans le bureau de Mlle Super-Gentille et Mlle Super-Adorable. Effectivement, elles me confirment qu'elles sont venues me chercher : elles ont mes resultats et tout va bien. Et la, tout s'eclaire : Mlle Prise-de-sang s'est trompee de dossier. Pas une fleche, celle-la, parce que mon nom, il fait moyennement indien. Pour un peu, je me faisais operer des amygdales ou du gros orteil gauche. Plus que soulagee, je file voir la doctoresse, qui m'apprend qu'ils ont decele des bacteries mais que mon infection est mineure. Et me revoila sous antibio pendant 7 jours (4).

Il est maintenant temps de rentrer a Varkala. G & G sont blanches comme des cachets d'aspirine et nous sommes loin d'arriver : rickshaw ou taxi jusqu'a la gare, puis train plein a craquer, puis re-rickshaw. Elles viennent de passer leur premiere journee en Inde dans un hopital, alors je decide de prendre un taxi direct jusqu'a Varkala qui, avec un peu de chance, sera pris en charge par mon assurance. Mlle Super-Adorable s'occupe de tout avec beaucoup de professionalisme et de gentillesse. Nous patientons plus d'1h heure affalees sur le canape moelleux de son bureau en degustant les biscuits et le the qu'elle nous a offerts. Elle fait baisser le prix de la course et me donne un recu comportant le cachet de l'hopital pour mon assurance. Si les filles ne ressemblent plus a rien, moi, je pete la forme depuis que je sais que je ne suis plus mourrante.

Le taxi finit par arriver. Je remercie chaleureusement mes deux anges gardiennes et nous prenons la route pour Varkala (5). Apres nous etre installees, nous allons boire un verre au Funky Art Cafe. A Varkala, difficile de trouver un bon restaurant. Ils servent du poisson pas frais et des plats continentaux et indiens infames. De plus, le service est extremement mauvais. C'est tout particulierement vrai au Funky Art Cafe, que nous boycotterons pendant tout le reste de notre sejour a Varkala. Eh oui, c'est la que les filles vivront leur deuxieme arnaque de la journee ! Les serveurs, de mauvaise foi, essaieront de nous faire payer les deux fameuses ginger beer qu'ils n'etaient pas censes nous compter. Cette experience aura au moins le merite de nous apprendre que dans la ginger beer, il n'y a ni ginger, ni beer.

Première journée épique, mais le spectacle de la mer en bas de la falaise rouge, de la végétation luxuriante et du coucher du soleil sur l'horizon rattrape bien toutes nos épreuves. On découvre la mauvaise foi, le harcèlement commercial, mais aussi la gentillesse, la curiosité bon enfant et les sourires éclatants. On (Je !) fait connaissance avec les moustiques varkaliens et le Odomos (anti-piqûres local), surnommé par mes soins Domestos (ou Demis Roussos). On représente parfaitements les sales Françaises râleuses et on savoure notre 1re nuit, serrées les unes contre les autres pour se tenir chaud (vraiment nécessaire vu la température), au son des vagues et du ventilateur.

Nous passons les journees suivantes a faire les boutiques, G & G ayant besoin de tongues (6), de creme solaire, d'anti-moustique, de sarongs, de t-shirts et de choses inutiles. Entre deux achats, nous nous faisons tsunamiser (= se retrouver a demi-nue en se cognant le front sur le sable apres le passage d'une grosse vague) (7), bronzer, et nous passons un temps incroyable dans les restaurants a attendre nos commandes, un record de deux heures ayant ete atteint chez les Tibetains. Mais comme ils sont tibetains et qu'ils servent les meilleurs momos du monde (beignets de viande ou de legumes frits ou a la vapeur), on leur pardonne (8).

Pour le nouvel an, nous allons diner chez Johnny Cool, notre cantine, le seul bon resto de Varkala (avec nos amis les Tibetains). Je fais peter mon sarong de soiree - en soie, s'il vous plait - et les filles revetent leurs tenues flambant neuves. Peu avant minuit, apres nous etre bien rempli la panse, nous sortons de chez Johnny et courons jusqu'a la falaise. Nous arrivons pile a temps pour le compte-a-rebours. 5, 4, 3, 2, 1... Happy New Year! Feux d'artifices et petards viennent nous casser les oreilles. Tous les Indiens que nous croisons nous serrent la main chaleureusement. Nos "happy new year" enjoues se transforment vite en "'py new year", puis "new year", prononces du bout des levres. Nous allons nous balader le long de la falaise - il n'y a malheureusement aucune celebration sur la plage - et nous arretons dans l'un des restos transformes en "nightclub" pour l'occasion. Et hop, nous voila sur le dance floor a nous dehancher au mileu d'Indiens ivres morts s'/nous arrosant de biere. Toutes les dix minutes, la musique s'arrete pendant un quart d'heure. Les restaurants n'ont pas de license pour servir de l'alcool et la police effectue des rondes bien hypocrites (backschish dans l'air). Vite lassees, et l'estomac plombe par ce trop-plein de nourriture, nous rentrons nous coucher sagement vers 3 h du matin.

Greve, traquenard et nenuphars

Le 2 janvier, nous quittons la splendide plage de Varkala pour Allepey, plus au nord. A notre arrivee, nous apprenons qu'il y a une greve et que tout est ferme. La raison de cette greve ? Une protestation contre la pendaison de Saddam... Comme l'a si bien dit Gege, Saddam, meme mort, il nous fait chier ! Bref, la nouvelle me met d'humeur massacrante parce que les filles ne sont la que deux semaines et je ne veux pas qu'elles perdent de temps. Apres moult tergiversations, nous decidons d'aller trouver un pecheur pour faire un tour dans les backwaters. Un peu apres la boat jetty, un Indien vient nous trouver et nous propose de faire une balade a bord de son bateau. Pile poil ce qu'on cherche. Son tarif est de 350 Rs pour 1 heure. Nous montons dans sa barque amelioree et commencons la balade. C'est tres reposant et les paysages que nous traversons sont magnifiques.

Cependant, il y a un hic (comme toujours en Inde) : la balade censee durer 1 heure dure deja depuis 1 h 30. Ca sent le traquenard ! Mais a part rentrer a la nage en slalomant entre les nenuphars, il n'y a pas grand-chose a faire. De toute facon, la balade est vraiment chouette, alors tant pis. Nous finissons par nous arreter dans un village et notre rameur nous demande si on veut boire du chai (= sorte de the tres sucre) ou des noix de coco. Nous allons nous asseoir, et peu de temps apres, il revient avec des bananes, un chai pour Gaelle et des noix de coco pour Gege et moi. Nos pailles sont noires de salete et le lait de coco rappelle plus le Paic citron que les Bounty. On s'imagine deja terrassees par une bonne vieille turista ou une dysenterie, mais comme on est des filles bien elevees, on boit sans broncher. Et on se rend compte que notre petit tour dans les backwaters, a priori loin du circuit touristique - nous avons le bateau pour nous seules - est en fait un gros traquenard. Qui paie les bananes, le the, les noix de coco et meme les boissons de nos rameurs ? Ben, c'est nous... Et qui fait un tour de 3 heures a plus de 1 000 Rs au lieu d'1 a 350 ? Ben, c'est encore nous... Pendant la deuxieme partie de la balade, enervees de nous etre fait avoir de la sorte, nous admirons tout juste les paysages et sommes a deux doigts de nous endormir... La petite promenade sympa nous laisse un gout amer dans la bouche (le lait de coco aussi). Au moment de payer, un de nos rameurs a le culot de nous reclamer un pourboire, qu'il se mettra ou je pense. Finalement, avec le recul, nous garderons un bon souvenir de cette excursion, qui nous aura permis d'en voir bien plus qu'en passant par une agence (9).

La turista nous laissera en paix et on gardera de beaux souvenirs d'eau (légèrement huileuse quand même) couverte de nénuphars, de cocotiers et autres arbres tropicaux, de saris séchant au soleil (et dans la poussière), de femmes et d'hommes lavant leur corps/la vaisselle/leur linge au bord de leurs maisons...

Spice Land

Le lendemain, nous partons pour Kumily, dans les terres, en altitude.

Petite précision sur le voyage : Géraldine et moi faisons connaissance avec les bus indiens, pas très confortables, les chauffeurs indiens, complètement tarés, et le code de la route indien, absolument inexistant. En chemin, on s'arrête dans une "salle de bain", c'est-à-dire un boui-boui restau, où nous mangeons le plat unique, le thali, à volonté, divin, pour 1 euro à trois ! C'est bien, l'Inde ! Et nous testons les toilettes, qui s'avéreront être grosso-modo propres et représentatives de toutes les autres (sauf parfois pour la propreté) : passages dans des couloirs sombres, vue sur les arrière-cuisines en plein air, objets inhabituels dans un restaurant, notamment des rondins de bois de 5 m de long, robinet et seau, absence de papier, et chasse qui chasse pas. Normal, quoi !

En arrivant devant notre futur-ex hotel, qui est complet, j'entends quelqu'un m'appeler. Je me retourne et, surprise, j'apercois Ellen et Andy, qui viennent d'arriver eux aussi. Nous migrons dans leur hotel, ou notre chambre passe de 900 a 400 Rs grace au talent de negociatrice d'Ellen. Le lendemain matin, le temps est brumeux et nous decidons de remettre notre visite du parc de Periyar a un autre jour. Pour la premiere fois depuis l'arrivee des filles, notre journee est bien remplie : visite d'un jardin d'epices a dos d'elephant, d'une usine a the, puis d'un autre jardin a epices, plus grand que le premier. Notre guide, Susheela, est une adorable quinquagenaire deja grand-mere deux fois. Elle nous fait gouter toutes sortes d'epices et de plantes de son jardin. A la fin de la journee, le the, la cardamome, le gingembre et le curcuma n'auront plus aucun secrets pour nous.

Susheela, gentille et commerciale hors pair, en profite pour nous demander de lui faire de la pub, pour sa plantation et sa tree house. Alors comme elle est sympa et que le lieu est serein et calme, voici le site : www.canaanvalleyperiyar.com.

Le lendemain, direction le Periyar Wildlife Sanctuary, peuple de tigres, comme annonce sur la brochure et dans ce fichu Lonely Planet. Une fois de plus, grace a notre organisation legendaire, nous arrivons trop tard pour la promenade en bateau de 9:30, censee permettre de voir les animaux se desalterer au bord du lac. Nous avons donc deux heures a tuer avant la prochaine balade. Apres quelques soucis lies a l'exasperante desorganisation indienne, nous montons enfin dans le bateau, dans une humeur noire, et pleines de mauvaise volonte (surtout Gaelle et moi). Evidemment, nous ne voyons rien, mais nous realiserons tres vite qu'il n'y a rien a voir. Gaelle et moi poussons des "oh" et des "ah" bourres de cynisme chaque fois que nous apercevons un canard ou un tronc d'arbre mort a travers les vitres du bateau. Pour tuer l'ennui, Gaelle se defoule dans son journal, Geraldine explique a ses nouvelles cops pre-prepuberes que Saddam etait tres mechant et moi, je baille aux corneilles en esperant que le bateau coule histoire qu'il y ait un peu d'action (10).

Moi, franchement, je ne comprends pas la réaction des filles. Periyar, j'ai A-DO-RE !!! Un conseil : éviter la balade en bateau complètement inutile et quitte à venir, faire la visite de la jungle ou les activités touristiques avec guide, histoire de rentabiliser le prix d'entrée. Autre conseil : penser à prendre des cours de yoga ou de méditation pacifique pour ne pas avoir envie de cogner certaines têtes les unes contre les autres.

Heureusement, le soir, nous nous rattrapons en assistant a un tres impressionnant spectacle de kalamarimachin, le plus ancien des arts martiaux.

Sab, fais marcher ta mémoire ! KALARI PAYATTU ! C'est pas si dur que ça !

L'apres-midi, apres avoir passe la matinee a la frontiere du Tamil Nadu, nous prenons un bus pour Munnar. La fin du trajet est epique et nous arrivons miraculeusement sans heurts a Munnar (11).

La route est en tout cas magnifique, et vers la fin du trajet, on passe à côté de choses superbes. Du moins, on a l'impression, parce que la nuit est tombée, il fait un froid de canard, les volets dans le bus sont fermés, et on est plus concentrées sur le chauffeur qui a l'air de vouloir battre des records de vitesse et de folie que sur le paysage.

"Moi, j'adooore Munnar"...

...m'exclamai-je toutes les trente secondes en sautillant. Eh oui, comment rester de marbre face a ces magnifiques collines verdoyantes recouvertes d'arbres a the ? Mais il fait tellement froid que pour dormir, je degaine pour la premiere fois ma TGAF (Tenue Glamour Anti-Froid) : ma polaire, mon calecon long et mes chaussettes de rando remontees par-dessus. Et c'est encore plus sexy lorsque j'enfile mes tongues pour aller a la salle de bain. A cote de moi, les Indiennes drapees dans leurs saris font bien pale figure, croyez-moi. Malheureusement, vous ne verrez pas de photos car il n'y en a pas (12).

Eh oui, il y a une preuve ! Blackmail material ! Notre chambre-palace (4 lits plus télé) est un congélateur-anti-sèche-linge. Notre lessive restera 4 jours sans sécher un brin et nous passerons 3 nuits à grelotter (surtout moi, en dépit du sac-à-viande, de la couverture, de la polaire, des 2 paréos...).

B-days

Munnar sera le theatre de deux evenements majeurs : les 26 ans de Gaelle ainsi que mes 25 ans pour la troisieme annee consecutive (speciale dedicace aux personnes en train de se dire : "Merde, j'ai oublie..."). Le 7 janvier, a minuit, Gaelle entre donc dans sa 27e annee. Nous fetons l'evenement en jouant rapidement au moulon (speciale dedicace Marie, Anna et Pierre) avant de nous coucher sagement. Le soir, apres une journee passee dans les plantations, nous lui offrons une jolie tenture achetee en cachette.

Je leur ai mâché le travail en geignant à chaque passage devant la boutique : "Oh, c'est trôôôp joli ! J'aimerais bien un truc comme ça !" Mes deux copines sont des menteuses et cachottières pathologiques. Et très douées en plus, parce que je n'ai rien vu venir !

Le lendemain soir, un allume autrichien s'incruste a notre table pour le plus grand plaisir de Geraldine, et nous apprend qu'une greve aura lieu le lendemain. Qui dit greve en Inde dit "absence de transports" et "absence de bouffe". Nous allons devaliser les magasins et lancons l'operation ravitaillement : chips, biscuits et flotte. On se croirait en temps de guerre. Ca promet, le repas, pour mon anniv (13).

Le 9, en effet, tout est mort a Munnar. Apres une grasse mat', nous filons par nos propres moyens (= a pied) dans les plantations et "pique-niquons" avec les succulents vivres achetes la veille, tout en jouant au Uno. Comme d'hab, Gege nous bat a plates coutures. A 18 h, la vie reprend lentement son cours et nous prenons notre premier vrai repas de la journee chez Iswarya, notre cantine. C'est un des seuls restaurants ouverts et le service est varkalesque. Deux heures s'ecoulent avant que la commande arrive. Pendant l'attente, des personnes arrivees apres nous sont servies avant. De la fumee sort de mes oreilles tellement j'ai envie d'aller etriper le cuistot et de preparer nos plats moi-meme. Nos snacks et nos boissons censes servir d'apero arriveront a la fin. Merci, messieurs, d'avoir saccage mon repas d'anniv'. Heureusement, en rentrant a l'hotel, les filles m'offrent un sponge cake avec des bougies dessus, du home-made chocolate, des Kit-Kat et, surtout, un bon pour un massage ayurvedique. Bref, cette annee, nos anniversaires ont plus le gout du masala tea et de veg curry que des Tucs et des cocktails aureliennesques de l'an passe (speciale dedicace Karine, Liam, Marie, Matt, CG, Aure, et surtout, Sam et Nico) (14).

Au restau, Sab fait preuve de ses talents comiques innés en faisant une légère critique au serveur. 1 h 30 après avoir commandé nos lassis, elle l'arrête, rouge de fureur, la fameuse fumée sortant des oreilles, et lui crie dessus : "On attend encore nos lassis ! Vous êtes en train de traire la vache ou quoi ?" Le pauvre n'a rien compris et il s'est juste écarté comme si c'était une lépreuse. Moi, ça m'a bien faire rire. Quel manque de courtoisie, Sab !

Cafouillages a Kochi

Nous partons en direction de Kochi. Sitot l'operation epilation-debardeur-jupe-tongues terminee, nous allons prendre rendez-vous pour un massage, et reservons une table dans un restaurant afin d'assister a un spectacle de bharatanatyam, danse traditionnelle du sud de l'Inde. Mais le lendemain, nous perdons du temps (grace a moi qui passe trop de temps a copier mes photos sur CD) et ratons la balade a velo que nous avions egalement prevue. Pour couronner le tout, nous apprenons que le massage dont nous revions tant est annule. Bref, notre dernier jour ensemble ne se passe pas comme prevu. Heureusement, nous finissons bien la journee en assistant au spectacle de danse autour d'un succulent diner.

Notre étape à Kochi a ses côtés bofs mais est illuminée, que dis-je,  transcendée par le magnifique film indien oscarisable qu'on a vu au cinéma. Vivah ! (C'est le titre), l'un des films les plus mélodramatiques (même pour un Bollywood) et conservateurs que j'aie vus récemment. Contrairement au "splendide" Dum II vu par Sab, où les Indiens mettaient de l'animation dans la salle, c'est plutôt nous qui en mettons, en se plaignant du manque d'échange de salive entre les deux héros qui ne rêvent que de ça. Frustrant, à la fin ! La  dernière journée est quand même riche en événements : on aide des pêcheurs à tirer leurs filets, et on est censées leur refiler une pièce alors qu'on s'est écorché les mains pour eux ! (bon, d'accord, j'exagère...) On marche, et on marche, et on marche, dans des rues de Fort Kochi qui ne m'ont pas l'air faites pour les touristes. Géraldine expérimente la glue indienne pour ses tongues, mais ça ne colle rien. Elle en est réduite à en acheter une 2e paire pour ne pas finir notre route pieds nus sur le bitume brûlant. (On a une de ces histoires d'amour avec les tongues dans ce pays...). Et les danseuses du soir font 1,20 m et ont 10 ans. Encore heureux qu'elles assurent !

Le lendemain matin, j'abandonne tristement les filles, apres avoir pris soin de leur refourguer une partie de ma PROI (Panoplie Ridicule d'Occidentale en Inde), et reprends ma route seule, vers de nouveaux horizons.

Nous poursuivons notre voyage, seules, abandonnées et déprimées (enfin, faut pas exagérer quand même, on est en route pour le Taj Mahal !!), en laissant derrière nous chaleur et moiteur. Après quelques heures de vol, nous ferons (un tout petit peu) connaissance avec l'Inde du Nord, les palais de maharadjah, les bazars de Delhi et la blancheur (pas si blanche que ça, vue de près) du Taj Mahal. Nous échangerons nos vues sur le mariage, la spiritualité, la pollution et les vaches avec un gentil couple de Benarès, nous verrons Old Delhi et New Delhi, nous marchanderons comme des bêtes tout, du prix des bijoux à celui des trajets en rickshaw, nous manquerons mourir de froid (5° quand même !) et reprendrons l'avion (British Airways, ça vaut pas un kopeck par rapport à Qatar Airways) pour retrouver notre bon vieux pays et tout ce qui nous a tant manqué. 1res réflexions émerveillées sur le trajet du retour : "Oh, ils grillent pas les feux rouges ! Oh, y a pas de vaches ! Chouette, je vais pouvoir remanger un steak !" Mais au bout de quelques jours, il y aura comme un manque de cardamom tea, de thali et de iddli, d'odeurs épicées, de champs d'arbres à thé, et bien sûr... de notre petite routarde voguant courageusement sous d'autres cieux.


1 Et que moi, je commence déjà par ne rien manger, ce qui deviendra mon habitude tout le long du séjour - à quelques exceptions près tout de même !

2 C'est vrai qu'on a fini un peu déchirées, avec Gaëlle, mais on a quand même fait la connaissance d'un très gentil monsieur qui nous a tenu compagnie un petit bout de temps. Comme il parlait un peu français, il était content de pouvoir s'exercer avec nous.

3 J'avais jamais vu Sab dans une telle fureur ! Moi qui la prenais pour une fille cool et sympa, ben elle l'était pas du tout avec ce chauffeur de rickshaw (qu'elle a tout de même traité au passage de "fucking liar"). Mais au fil du temps, je suis devenue pareille (c'est vrai qu'ils peuvent être très énervants quand ils le veulent, ces Indiens !)

4 La tête de Sab quand elle est revenue : elle était complètement flippée, et on la comprend. Avec Gaëlle, on en pouvait plus d'attendre en s'endormant lamentablement sur nos sacs, mais là, on a commencé à avoir un peu les boules. Et si jamais Sab devait se faire hospitaliser ? Super le premier jour en Inde ! Mais finalement, tout s'est bien terminé, à notre grand soulagement (et surtout à celui de Sab).

5 Ce que Sab oublie de dire, c'est qu'on a quand même un peu tourné en rond avant d'arriver enfin à l'hôtel. Le chauffeur était très gentil, mais impossible de lui faire comprendre le nom de l'hôtel, ni même ce qu'est un hélipad (parce qu'on n'était pas très loin de l'hélipad et que, naïvement, Sab croyait qu'en lui disant de nous y laisser, ça nous aiderait. Grave erreur : je crois qu'il n'a jamais compris ce qu'elle tentait désespérément de lui dire). Première découverte des problèmes de communication avec les Indiens du Kerala et leur malayalam-anglais.

6 Des tongues que, soit dit en passant, nous avons mis 2 jours à trouver. Impossible de mettre la main sur de stupides tongues en plastique, y avait que des trucs avec des perles ou en cuir (ou en "faux plastique" selon les termes exacts de Gaëlle, excédée par un vendeur qui voulait lui faire passer du plastique pour du cuir véritable). Bref, une fois qu'on les a enfin eues, nos précieuses tongues, on n'a fait que passer devant des boutiques qui vendaient toutes des p... de tongues en plastique ! Les nouilles, je vous jure ! "Oh, des tongues !" est ainsi devenue une phrase clé pendant quelques jours)

7 ouais, enfin uniquement Sab. On sait pas comment elle se démerdait, mais elle arrivait jamais à nous rejoindre. Elle se prenait tous les rouleaux alors qu'avec Gaëlle, on se laissait tranquillement porter par les vagues avant qu'elles n'aillent se crasher sur Sab) [meme pas vrai, Gaelle aussi, elle s'est bouffe le fond de la mer]

8 Ah, les momos, c'est bon. J'adore les momos !

9 Et en plus, Sab s'est fait délester d'un stylo par la gamine qu'on a rencontrée lors de notre petit arrêt goûter. Faut avouer qu'on s'est quand même bien marrées, malgré l'arnaque.

10 Ouais, enfin, si on est arrivées trop tard, c'est surtout parce qu'on n'était pas au courant qu'il fallait se pointer une demi-heure avant le départ pour acheter les billets. Et puis quand je pense qu'après, on a payé je sais pas combien pour avoir le droit de prendre nos appareils photos... Perso, je n'en ai fait aucune. Ah non, pardon, j'ai pris en photo les gamins avec qui j'ai discuté pendant la moitié de la balade. D'ailleurs, heureusement qu'ils étaient là, parce que ça m'a bien fait passer le temps. A un moment donné, j'ai eu le malheur de dire à la gamine que je trouvais Bush complètement crétin, du coup, elle est allée s'imaginer que j'aimais bien Sadam Hussein ! Alors quand je lui ai expliqué que c'était pas vraiment un mec sympa non plus, j'ai cru l'espace d'un instant que ses oncles autour allaient me zigouiller. Mais non. Simplement la lueur d'espoir qui brillait dans ses yeux s'est éteinte, surtout quand je lui ai annoncé que, non, je n'étais pas amie avec les Allemands à côté de moi qui avaient des jumelles (qui ne servaient de toute façon à rien, puisqu'il n'y avait rien à voir). Du coup, j'ai cessé de l'intéresser et elle est allée jouer avec ses cousins. Sniff...

11 Le début du trajet était pas mal non plus. A un moment donné, on a bien cru qu'on n'allait jamais y arriver. On a croisé plusieurs camions, et à chaque fois, il fallait reculer pour les laisser passer. Ca faisait bien marrer Gaëlle d'ailleurs, qui s'est moins bidonnée quand elle a cédé sa place à une vieille dame (suite à quoi, je me suis retrouvée coincée contre la paroi du bus, parce qu'une autre dame a jugé bon de s'asseoir sur la banquette qui normalement ne peut accueillir que 2 personnes), puis n'a retrouvé sa place que trois-quarts d'heure après. Ah, les joies du bus. Mais en même temps, on peut pas se plaindre, on était tout le temps assises.

12 Oh si, je crois que Gaëlle a dû te prendre en photo une fois avec son appareil, non ? J'espère, parce que franchement, y a pas de raison qu'il y ait que moi qui sois ratée sur les photos.

13 Ouais, très sympa, l'Autrichien, jusqu'à ce qu'il commence à nous dire que Dieu est partout et blablabli et blablabla. Là, j'ai décroché. Déjà que je participais pas beaucoup à la conversation avant... Mais enfin, on le remercie quand même car il nous a prévenu pour la grève. Coïncidence ou intervention divine pour nous permettre de manger un minimum le jour d'anniversaire de Sab ? A chacun sa théorie...

14 Comment j'ai trop assuré pour allumer les bougies ni vue ni connue dans la salle de bains avec le briquet subtilisé un peu plus tôt dans les affaires de Sab, en prétextant aller prendre ma douche... J'étais tellement convaincante en faisant couler l'eau pour couvrir le bruit de l'emballage du gâteau que Gaëlle a bien cru que j'allais vraiment en prendre une. Pendant ces quelques jours, je suis devenue une pro de la dissimulation et du cadeau fait en douce, avec l'aide de l'une ou l'autre de mes comparses.

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En vadrouille sur le sous-continent indien
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